Ça y est ! Après la RDC, l’Ouganda, le Burundi, le Rwanda, le Kenya, la Centrafrique, le Congo Brazzaville et le Cameroun, la variole du singe a atterri au Gabon sans que les autorités sanitaires s’y soient préparées. Comme pour la Covid-19, nous avons cru que c’est l’affaire des autres. Devant le fait accompli, on cherche à gauche et à droite quel pays nous fournir le test diagnostic et comment prendre en charge les malades. Inconscience, incompétence ou les deux ?
Le Sars-Cov 2 n’a pas encore totalement replié que l’on doit affronter déjà un autre virus émergent, cette fois celui responsable de la variole du singe, le Mpox, sonnant comme le tribut à payer par l’homme dans son insolence et sa transgression de la nature.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) vient de classer « urgence de santé publique de portée internationale » l’épidémie de variole du singe en Afrique centrale qui progresse en tâche d’huile tandis que le centre européen de prévention et de contrôle des maladies est en alerte pour parer au débordement sur l’espace européen.
Et pourtant, des voix autorisées, sans doute illuminées par les fulgurants progrès scientifiques, techniques et technologiques, avaient prédit que la médecine allait en finir avec la maladie, voire avec la mort pour la fin du 20ème siècle. Mais, à la fin du 20ème siècle, constatant que la mort et la maladie n’avaient rien cédé, Jean Bernard de l’académie française, dans « Exercice médical dans la société : hier, aujourd’hui, demain », publié en 1995, écrivait : « La médecine du 21ème siècle sera inspirée par deux sentiments, par deux vertus, si l’on veut : l’espérance et la modestie.
L’espérance de voir la médecine diminuer le malheur des hommes grâce aux progrès de la science, grâce à l’alliance de la science et de la sympathie confiance établie entre le médecin et son malade.
La modestie. Une double modestie avec la connaissance de certains effets pervers des progrès, avec la survenue d’événements inattendus ».
Le 20ème siècle n’est donc pas venu à bout de la maladie. Le début de ce 21ème siècle n’annonce pas la fin de la maladie ni la fin de la prédation de l’homme par les virus.
Malgré les avancées scientifiques, les découvertes médicales et les progrès thérapeutiques, les dernières décennies du 20ème siècle et les deux premières de ce 21ème sont marquées par des flambées d’épidémies ravageuses infligées à l’Homme par des virus dits émergents. A côté de la pandémie due au VIH, ces virus sont une menace constante. Lorsqu’ils frappent le monde entier ou des communautés, ils tuent sans préavis, la médecine se révélant alors impuissante, ne pouvant ni prévenir ni guérir.
Sévissant sur le mode endémo-épidémique, les virus émergents sont parmi les prédateurs naturels de l’Homme les plus redoutables et les plus redoutés. Chaque virus y va de sa manière dans sa furie :
– la Dengue, le virus amaril, le virus Lassa, le virus de Crimée, le virus de la vallée du Rift, le virus Ebola… par des saignements mortels ;
– le Sars-Cov2 par la pneumonie asphyxiante ;
– le Mpox par l’attaque de la peau…
Les viroses émergentes sont ainsi devenues le défi médical du 21ème siècle pour l’humanité tout entière, car si elles trouvent leurs écosystèmes préférentiels sous les climats tropicaux, elles sont une menace générale. Les virus ne connaissent pas de frontière, ils peuvent frapper n’importe où, n’importe quand et n’importe comment. La Covid-19 n’a-t-elle pas conduit au confinement de l’humanité quand des maisons de retraites entières étaient ravagées en Europe alors que le virus sévissait initialement en Chine ?
Par la virulence extrême de certaines d’entre elles et par leur propension à s’étendre et à élargir leur aire géographique, les viroses émergentes posent un problème crucial de santé publique en Afrique qui vient s’ajouter aux fléaux endémiques que sont la pauvreté, les maladies diarrhéiques et respiratoires, la mal gouvernance socio-économique et politique.
L’OMS s’est dotée d’une structure de réponse après les épidémies meurtrières à virus Ebola en 1976 et celle à virus de la vallée du Rift en 1989 sans que ces virus prédateurs ne soient inquiétés.
Mais s’agit-il de phénomènes nouveaux ?
L’histoire connue des viroses meurtrières commence avec la Dengue hémorragique et la fièvre jaune. Les premières descriptions remontent à 430 ans avant J-C pendant la foudroyante épidémie qui frappa Athènes et que Thucydide décrivit comme la peste d’Athènes. Cette épidémie aurait été en vérité une Dengue (« Histoire de la Guerre de Péloponnèse », livre deuxième, XL VII- LV).
Tout au long du 20ème siècle vont survenir des épidémies de Dengue et de fièvre jaune, dont celle de 1937 au Caire, avec la Dengue, et celle de 1940 avec la fièvre jaune. Wakil, Hilny, Sicé et Rodallec, tous médecins passionnés par les virus, ont fait des descriptions apocalyptiques de certaines formes ignorées de ces virus qui sévissent sous les tropiques depuis des siècles.
Les viroses meurtrières ne sont donc pas un problème nouveau. Il n’y a pas de génération spontanée en virologie, mais des combinaisons ou des mutations qui peuvent engendrer des souches plus virulentes.
Pourquoi sont-elles émergentes ?
Les viroses apparaissent comme le tribut à payer à la transgression par l’homme des écosystèmes vierges et à son intrusion aux confins des forêts tropicales. Peut-être la réponse des dieux. Même si nous nous plaçons résolument sous le signe de Prométhée, les épidémies successives interpellent et suggèrent que la rationalité peut parfois faire place à la subjectivité, replaçant le médecin devant l’éternelle lutte entre esprit et raisonnement. Mais la raison a triomphé de la subjectivité. Heureusement ! L’OMS a réorganisé, en 1994, sa division maladies transmissibles et un comité d’experts a établi un document (CBS/VBI/94.2) qui définit les buts et les orientations face aux maladies infectieuses émergentes en général et aux viroses émergentes en particulier.
En réalité, le caractère magique de ces maladies tient à la méconnaissance de leur épidémiologie, soit par méconnaissance de l’écologie vectorielle, soit par manque d’information ou de formation des agents de santé.
L’Afrique tropicale est une région par excellence de foyers naturels des viroses. Elles se maintiennent ici dans un climat chaud et humide constituant une niche naturelle où se trouvent hôtes vertébrés et invertébrés, amplificateurs dans le cycle de transmission. La propagation de ces viroses est liée à la répartition géographique du réservoir animal, des vecteurs et au réservoir actif que devient l’Homme, hôte accidentel ou hôte multiplicateur pouvant disséminer le virus hors des foyers naturels. La rupture d’un certain équilibre naturel par les modifications écologiques du milieu, l’intrusion de l’Homme dans les habitats des invertébrés et rongeurs, les déforestations, irrigations, urbanisations…sont autant de facteurs déclenchants.
Que faire alors ?
Certains travaux de surveillance des maladies virales réalisés par l’Organisation de coordination et de coopération pour la lutte contre les grandes endémies en Afrique centrale et l’Organisation de coopération et de coordination pour la lutte contre les grandes endémies doivent être entretenus et les relais nationaux doivent divulguer l’enseignement et l’information sur les résultats établis qui contribuent à la compréhension des mécanismes de maintenance des viroses dans les écosystèmes tropicaux. D’où la place fondamentale de l’écoépidémiologie qui est le préalable à toute politique publique de lutte contre les virus émergents. De sa compréhension et du respect de l’environnement par une exploitation écologique et responsable des forêts dépend l’efficacité des mesures de masse élaborées. Mais l’Afrique tropicale devrait rester pour longtemps encore le champ d’action privilégiée de ces maladies mortelles non seulement à cause des raisons naturelles soulignées plus haut, mais aussi à cause des mauvais choix économiques dictés par les industriels prédateurs des forêts tropicales.
En attendant, la variole du singe tout comme la Covid-19, Ebola et hier la fièvre jaune, la Dengue, la fièvre Lassa… nous rappellent à la modestie et nous disent que la maladie et la mort seront pour longtemps encore le prix à payer à la transgression et au braconnage des forêts tropicales. Ne pas s’y préparer est de l’inconscience ou alors de l’incompétence.
Docteur Ella-Ondo Timothée, praticien spécialiste des hôpitaux, diplômé de médecine des désastres sanitaires de l’Université de Bordeaux-II, enseignant à l’Université des sciences et techniques de la santé de
Libreville