Cher frère, les souvenirs m’obligent… Je prends le temps, ce jour pour, t’adresser, à titre posthume, un amical et fraternel hommage que tu mérites parce qu’à bien des égards, tu es digne d’éloges, de respect et d’admiration pour ce que tu as été pour moi, ainsi que pour de nombreux autres de nos compatriotes.
Je n’écris pas pour paraître ou pour effectuer un exercice de style, mais pour placer ton nom dans la durée en utilisant les mots simples et expressifs d’une langue, somme toute belle, qui nous est familière depuis l’enfance : le français. Ah, si je pouvais m’exprimer en fang, notre divine langue qui, bien parlée, nous projette au-delà du grossier monde terrestre !
Souvent, quand, debout à proximité d’un cercueil qui contient un être cher, je ressens ces palpitants frissons qui rappellent aux vivants qu’ils sont mortels, je me sens conforté du fait que tout ce qui est présent dans le monde, l’homme compris, est la propriété, le patrimoine de Celui qui en est le Créateur. En rédigeant cette adresse, j’ai, devant les yeux, ton visage souriant et les gestes que tes bras faisaient quand tu parlais.
Sickout Toto m’a rappelé un texte que j’avais publié dans le journal Le Mbandja, exemple la sincère amitié qui te liait à son frère Roger Sickout qui est parti avant toi et que tu vas, je l’espère et le souhaite, rencontrer pour rire en observant, à tout jamais, avec mépris, calme et sérénité toutes les conneries et autres bassesses qui nous préoccupent sur terre et que nous croyons importantes et vertueuses, mais qui ne sont que passe-temps et sans valeur… Il y a longtemps, potaches au lycée Léon Mba, un professeur de philosophie nous avait dit que « la vie ressemble à un rêve raconté par un idiot, pleine de bruits et de fureur … ».
Je suis définitivement convaincu que la mort fait de l’esprit que Dieu a mis dans l’homme une éternelle offrande sacrificielle à sa gloire. Maintenant, c’est notre génération qui est concernée pour le glorifier. Toi, qui étais chrétien et qui le demeureras, tu vas sûrement Le rencontrer.
Cher Vincent !
En 1983 j’étais chômeur. Tu étais, à l’époque, le directeur général des PME et tu m’as embauché en qualité de chargé d’études. J’ai été jeté en prison et tu as soutenu mon épouse et mes enfants abandonnés à Port-Gentil. A cela s’ajoutent des faits plus lointains. En ce temps-là, nous étions au lycée Léon Mba, puis à Rennes. Tu étais mon aîné de deux paires d’années, mais la qualité saine et fraternelle de notre relation n’en souffrait point… Même après avoir assisté à plusieurs décès, l’homme ne s’habitue point à la mort des êtres qu’il aime. Il en sera ainsi pour toujours. Cet événement vil et douloureux rappelle à l’homme, créature finie, fragile et temporelle, qu’il est peu de chose, voire insignifiant. Nous sommes tous égaux devant la mort. Incontournable, elle nous invite à la modestie. Elle est véridique. C’est l’acte de justice majeure pour tous les vivants.
Jeunes, nous avons été énergiques, téméraires et passionnés. Nous étions engagés dans le rejet et la lutte militante contre ce qui représentait pour nous le mal, le déshonneur et l’injustice. Nous y avons consacré une partie de notre existence dont quelques belles années de notre jeunesse. Quand j’ai vu, ce jeudi 13 septembre 2024, ton corps sans vie immobile, allongé dans cette caisse en bois, je me suis dit qu’« après avoir gaspillé et fourni tant d’efforts et fait tant de sacrifices…ne devions-nous donc, in fine, qu’obtenir des résultats médiocres et inachevés ? ». Malgré cela, je retiens qu’il y a logé au tréfonds de chaque peuple, une admirable et puissante force qui sommeille en se nourrissant de la raison, du discernement, de la sagesse et de l’intelligence. Le peuple gabonais, notre peuple, en a fait la démonstration par sa présence massive à tes funérailles. Face au spectacle, j’ai versé quelques larmes à la fois de joie et de tristesse en voyant ces femmes et ces hommes en grand nombre venir te rendre cet ultime sympathique, respectueux et sublime hommage mérité que certains minables prétentieux voyous imposteurs n’auront jamais.
La dignité, la vérité, la justice sont les caractéristiques des sincères citoyens patriotes. Servir le Gabon en patriote était notre objectif essentiel. Tu pars au moment où le pays traverse une étape historique inédite. Dans quelques semaines nous saurons si la restauration des institutions qui débutera officiellement par l’adoption, par référendum, d’une nouvelle Constitution se fera dans conditions apaisées. Les observations, critiques et remarques que l’on entend ici et là, à cet égard, ne rassurent pas.
Au centre de nos élucubrations et rêves d’étudiants militants de la Fédération des étudiants de l’Afrique noire en France (Féanf) et de l’Association générale des étudiants gabonais (Ageg) en France, était la Révolution nationale démocratique et populaire (RNDP) que nous psalmodions en la croyant à portée de main. Il n’en a rien été. Certes, nous avons posé de minimes actes courageux qui n’ont rien changé au satanique régime Bongo-PDG qui a perverti et désolé durablement notre pays. Parias, nous avons, en retour, subi les affres de ce régime : marginalisation, quolibets, torture et prison pour certains. D’autres compagnons avaient, sans préalables et principes, renoncé définitivement à nos rêves pour servir, sitôt arrivés au pays, le régime qu’il vilipendait et qui a fini par les phagocyter. Il y a des périodes, dans la vie d’une société en crise, des moments où chaque jeune homme doit faire des choix douloureux et audacieux pour se montrer digne et fier. A ces moments, refuser de choisir ou s’abstenir de choisir, c’est choisir.
Vincent, je ne sais pas si tu as eu le temps de lire mon livre intitulé « De l’Aurore au Crépuscule de mon Séjour Terrestre : Convictions et souvenances de Mortel » que je t’ai offert lors d’un séjour à Oyem en compagnie de Monsieur Jean François Ntoutoume-Emane, président du Rassemblement des patriotes républicains (RPR). Si tu ne l’as pas lu, d’autres le liront pour toi…
Finalement, les patriotes mourants ne perdent jamais totalement sur tout. Il leur reste la reconnaissance des autres patriotes.
Petit-fils des Nkodjeign par les us, coutumes et traditions fang-ekang, je réaffirme, cher grand-père, ici et maintenant, mon admiration, ma parfaite et fraternelle reconnaissance.
Repose en paix !
Guy Nang Bekale