Telle la lèpre, cette maladie infectieuse chronique plus ou moins contagieuse qui tue encore dans 14 pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, le mal grave qui tue notre économie sévit dans cette administration très spécialisée logée au boulevard Triomphal, dans un immeuble cossu baptisé « immeuble du pétrole », où la gabegie financière et la mauvaise gestion règnent comme nulle part ailleurs.
Mais ce phénomène, très ancré, qui s’est amplifié durant les deux mandats d’Ali Bongo, échappe, curieusement, aux critiques des journalistes et des observateurs depuis au moins trente ans, durée qui correspond à l’arrivée dans notre pays de ces petites compagnies pétrolières mafieuses et leurs sociétés de prestation de services, toutes aussi mafieuses, qui font la une des journaux et des réseaux sociaux ces derniers temps et qui sont pratiquement toutes dirigées par des affairistes.
Pour éradiquer ce redoutable fléau, le meilleur des remèdes, en cette période historique de restauration des institutions, c’est un grand coup de balai dans cette vieille structure ministérielle héritée du régime déchu et dont l’organisation et les attributions n’ont pas évolué depuis plusieurs années, tant et si bien qu’elle ne peut que mériter aujourd’hui son qualificatif de haut lieu de la corruption qui gangrène le secteur des hydrocarbures dont l’économie du Gabon reste fortement tributaire.
En effet, à en croire les révélations scandaleuses et inadmissibles d’un ancien haut cadre de cette administration l’autre jour sur les antennes de la télévision d’Etat, Gabon première, la grande corruption qui nous hisse parmi les 33 pays les plus corrompus d’Afrique commence bel et bien dans cet immeuble maudit où opèrent, comme des robots, des cadres supérieurs usés par un système qui les oblige à négocier, l’échine pliée, des contrats léonins qui ont livré notre pétrole à de pseudo investisseurs depuis la fin des années 80 jusqu’à ce jour.
Un contrat de dupes
Parce que les Gabonais oublient vite, en plus de cette lamentable tendance qu’ils ont à être complètement indifférents aux sujets qui peuvent fâcher sous d’autres cieux, il est important de rappeler ici les souvenirs douloureux de cet ingénieur des mines et du pétrole aujourd’hui à la retraite. Il répondait, ce jour-là, à la question d’une journaliste qui voulait savoir si le Gabon tire effectivement profit des revenus de son or noir. Voici résumées ses réponses :
« En réalité, le Gabon ne profite pratiquement pas de sa manne pétrolière pour une raison simple. Quand ces sociétés viennent négocier pour la première fois, elles nous disent qu’elles vont investir dans le pétrole. On leur signe des comptes-rendus de réunions avec lesquels ils courent aussitôt négocier des prêts auprès des banques en France et ailleurs en Europe. Mais au lieu de nous ramener des capitaux, de l’argent frais, ces gens-là nous ramènent des dettes que le Gabon doit rembourser à leur place dans le cadre de l’exploitation du pétrole brut en se soumettant à des délais d’amortissement très courts de 2 ou 3 ans et à des taux d’intérêts très élevés qui se montent en général entre 10 et 15 % alors même que l’entreprise étrangère en face de nous a emprunté à un taux d’intérêt qui ne dépasse pas les 3 % et que sa banque lui a accordé un délai de remboursement d’une durée de 15 à 20 ans. Plus grave, au niveau du partage de production, qui n’interviendra qu’après le remboursement par le Gabon de la dette contractée par l’opérateur pétrolier, le contrat signé à cet effet par l’Etat permet encore à cette entreprise pétrolière étrangère de se tailler la part du lion en s’accaparant de 55 à 60 % des parts qui restent des produits pétroliers. Un contrat de dupes ! Et c’est là que commence aussi la corruption. Le pays est floué en permanence. Il va aller de dettes en dettes, donc incapable de se développer. Ce qui fait du Gabon un pays pétrolier pauvre », a conclu l’ancien haut cadre du pétrole et des mines. Ces propos n’ont jamais été démentis.
Comment croire sérieusement que nous pouvons bâtir un nouveau Gabon, transformer en profondeur ce pays comme voulu par le Dialogue national inclusif si nous n’avons même pas le courage de dénoncer et de renégocier ce type de contrats de domination imposés par de toutes petites entreprises étrangères ; contrats qui sont actuellement en cours d’exécution et qui cantonnent le Gabon dans une posture humiliante inacceptable pour un Etat souverain qui est censé définir librement les objectifs de sa politique en matière de pétrole et d’avoir un droit de regard sur les activités pétrolières sur l’ensemble du territoire national ?
C’est enfin notre essor vers la félicité ?
Il est temps que les militaires, qui ont l’intelligence, le pouvoir et le devoir de restaurer les institutions et la dignité des Gabonais, rétablissent entièrement la souveraineté perdue du Gabon dans ce secteur très sensible du pétrole par la mise en place, dans ce ministère de nouveaux dispositifs mieux à même de lutter contre la corruption et de protéger effectivement les intérêts vitaux du Gabon et des Gabonais. Pour notre essor vers la félicité, car tous les graves dysfonctionnements et dérives constatés sur les sites pétroliers comme sur les terminaux prennent source dans ce département ministériel vieillot et visiblement à court d’imagination.
Dans l’un de mes libres propos, sorti au mois de novembre 2023, j’aiguillonnais déjà le CTRI et le gouvernement en leur suggérant, sinon d’annuler, tout au moins de rediscuter tous les contrats d’exploration et de partage de production (CEPP) signés sous le règne du chaos et qui, comme nous le savons maintenant, ne défendent pas les intérêts du Gabon. Mettre définitivement fin au pillage criminel de notre pétrole par des affairistes mafieux permettrait d’envoyer un signal fort à tous les autres aventuriers désargentés qui seraient, à leur tour, tentés de venir s’installer au Gabon à moindre frais pour y extraire du pétrole destiné, non pas au raffinage dans le pays producteur, ce qui est fort regrettable, mais à l’exportation sans se soucier des intérêts vitaux des Gabonais qui ont maintenant hâte de retrouver leur dignité.
…ce n’est pas la faute de la France si nos élites politiques et administratives sont corrompues
Que notre rêve collectif soit bien compris ! Une rupture impérieuse avec les magouilles des partenaires sans scrupules qui ne respectent pas la souveraineté de notre pays ne signifie pas rupture des liens étroits que le Gabon entretient avec la France. Car ce n’est pas la France, dont de nombreuses entreprises performantes et florissantes sont présentes dans d’autres secteurs de notre économie, qui demande à ses ressortissants opérant dans le secteur pétrolier chez nous de se comporter comme des voyous. Et ce n’est pas la faute de la France si nos élites politiques et administratives sont corrompues.
Il est donc souhaitable que les futures négociations avec les opérateurs pétroliers s’inscrivent dans une logique permettant de comprendre que les choses ont changé et que, désormais, tout se fera dans les règles et dans la transparence. A commencer par la signature et l’application stricte des contrats sur les permis d’exploration et de partage de production (CEPP) tenus secrets jusqu’à présent pour des raisons évidentes de corruption et qui devraient désormais être rendus publics pour permettre aux Gabonais de vérifier que ces nouveaux contrats sont conformes aux règles de l’équité et à la volonté des militaires au pouvoir d’assainir durablement le secteur des hydrocarbures.
L’autre signal fort à envoyer à ces petits opérateurs pétroliers qui volent notre pétrole pourrait consister en l’interdiction stricte de contracter avec des entreprises non gabonaises une quelconque activité pouvant être réalisée par une entreprise locale. Sans oublier la mesure innovante qui contraindrait l’ensemble de ces sociétés pétrolières, nostalgiques de l’époque coloniale, à mettre en place un plan de gabonisation progressif du personnel dans tous les domaines comme à l’époque du président Omar Bongo, car il est évident que ce que font les travailleurs clandestins nigérians, congolais, français et autres camerounais sur nos sites pétroliers, les Gabonais peuvent le faire.
Les nouveaux contrats pétroliers qui sont attendus avec impatience par la nation tout entière devraient aussi rapidement mettre fin à la mafia des sociétés de prestation de services, un secteur presque entièrement dominé par des étrangers, et rendre obligatoires les recrutements directs pour une meilleure garantie des droits des travailleurs nationaux. De même, sur un tout autre plan, celui de l’éthique et de la morale, les avantages et privilèges indus accordés aux personnels et auxiliaires de commandement dans les provinces pétrolières doivent être supprimés dans les nouveaux contrats pour mettre fin à la collusion de plus en plus flagrante qui fait passer ces dignitaires Gabonais pour les défenseurs des intérêts des opérateurs pétroliers, corrupteurs et pollueurs invétérés, contre ceux des travailleurs et des riverains gabonais.
Des missions d’audit pourraient être envoyées, si possible, avec l’appui de cabinets internationaux pour avoir une vision claire des manquements observés sur les différents sites et terminaux pétroliers où le CTRI et le gouvernement pourraient, d’ailleurs, nommer et affecter en permanence des inspecteurs pour s’assurer de la concrétisation des nouvelles mesures à venir.
Concernant enfin les questions cruciales de recrutement des personnels, de leurs conditions de vie et de travail après le drame de Perenco et en attendant la renégociation inévitable des contrats pétroliers, on pourrait envisager des enquêtes périodiques conjointes des ministères du Travail et de la Fonction publique, enquêtes qui seraient diligentées au niveau de toutes les entreprises pétrolières et de leurs sociétés de prestation de services dont les pratiques mafieuses sont de plus en plus décriées par les personnels.
Gilles Térence Nzoghe, diplômé de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille