Isolement politique s’entend. Parce que pris dans la tourmente du Covid-19. Pourtant, les débats sur le port des masques, les dépistages massifs, nasopharyngés (PCR) ou sérologiques, le confinement ou le déconfinement partiel ou total, la réouverture ou pas des écoles, des marchés, des restaurants, des bars, le choix de l’hydro-chloroquine ou non, etc. sont ceux de tous les pays aux prises avec la Covid-19.
Rien de spécifique à notre pays. C’est pourquoi les Exécutifs du monde entier, sur les conseils de leurs organismes scientifiques et de pilotage dédiés à la lutte contre la pandémie actuelle, décident, réajustent, s’adaptent, parfois se contredisent, reculent, doutent. Quoi de plus normal ? Comme l’illustrait un homme politique du siècle dernier : « N’est-ce pas là la même chose que si dans l’ascension d’une montagne abrupte, inexplorée, on se refusait à l’avance à faire des zigzags, à revenir parfois en arrière, à s’écarter de la direction fixée pour en essayer une autre ? ». Lorsque notre confrère L’union rappelle que « le Copil s’est adapté à l’évolution des cas ». Il plaide pour une cause entendue. Il n’est nullement reproché au Copil ou à l’Exécutif gabonais de s’adapter à l’évolution de la situation. Partout ailleurs dans le monde, cela se passe ainsi. Il s’agit ici de comportements plus spécifiquement gabonais, singulièrement ceux de l’Etat.
L’Exécutif gabonais, le comité scientifique et celui de pilotage ont abimé, très tôt, leur communication. Non seulement à l’endroit des politiques, mais aussi et surtout de la population. Convoquer la classe politique et ne pas échanger avec elle, donc ne pas dialoguer, ne pas communiquer, revenait tout bonnement à lui balancer un oukase à la figure. Ce qui n’a pas été du meilleur effet. Même si l’intention du PM était bonne, la méthode l’était beaucoup moins. Julien Nkoghe disait lancer « un appel patriotique pour former l’union sacrée ». Il disait vouloir « rassurer l’ensemble des populations gabonaises et des personnes résidant au Gabon… nos compatriotes à l’étranger » et inviter les « leaders d’opinion » à « informer, sensibiliser, diffuser les informations utiles, faire preuve de pédagogie auprès de nos compatriotes afin qu’ils adoptent les bonnes attitudes ». Diversement appréciée, cette initiative du Premier ministre n’a pas vraiment reçu l’assentiment de l’opposition. Propos de l’honorable Jean Robert Goulongana, du Rassemblement pour la patrie et la modernité : « Je salue les efforts fournis jusqu’ici par le gouvernement pour prévenir cette épidémie. Je trouve cependant lamentable que le Premier ministre soit parti aussi vite sans que nous ayons pu poser une seule question. Ce d’autant plus que lui-même l’a d’ailleurs dit, cette réunion entre dans le cadre des concertations entre le gouvernement et les partis politiques ». Paul-Marie Gondjout, de l’Union nationale, déçu : « Nous avons souhaité que cette réunion ne concerne pas que la situation du Coronavirus dans notre pays, mais que l’on parle également de sa situation politique réelle. Nous avons été déçus par cette communication qui ne nous a rien apporté comme informations supplémentaires sur cette maladie, mais également par la vacuité de cette communication ».
Aujourd’hui, tous les coups se concentrant désormais, et de plus en plus, sur le PM, on peut sans risque de se tromper pronostiquer que son « union sacrée » est mal barrée. D’autant qu’au sein de sa propre « majorité » il y en a qui sont prêts à lui tirer dans le dos et à prendre sa place. C’est justement la formation de cette « union sacrée » qui l’aurait mis à l’abri de ce criblage de critiques, à chaque tournant de cette lutte en zigzags contre la Covid-19. Mais cette « carapace » n’a pas été réalisée alors qu’elle aurait pu justement engager une responsabilité non plus individuelle, mais collective face à un ennemi mal connu qui pousse nécessairement à « faire des zigzags, à revenir parfois en arrière, à s’écarter de la direction fixée pour en essayer une autre ». Pour cela, il aurait fallu mettre en place un gouvernement d’« union sacré ». Mais, finalement, on peut se demander si lui-même, Nkoghe Bekale, y croyait vraiment. Beaucoup rangent son initiative au chapitre des habituels effets d’annonce.
L’histoire est pourtant là qui se répète. 1993, Omar Bongo se maintient. Un an après, il forme son gouvernement des « Accords de Paris », élargissant le gouvernement à toute l’opposition, sauf aux Bûcherons qui, tout en signant lesdits accords, avaient refusé de participer à ce gouvernement d’union sacrée. En 2016, Ali Bongo Ondimba s’impose au pouvoir et, par la suite, offre sa main tendue aux opposants afin de gouverner ensemble. Jean Ping résume ce rituel politique gabonais ainsi : « Pendant plus de 20 ans, le peuple gabonais a voté. Après le vote, suivaient la répression aveugle et les massacres par ceux qui avaient perdu les élections. Puis suivait, au mépris du vote du peuple gabonais, une phase de concertation de la classe politique qui se concluait par la distribution des postes. Et on recommençait sans fin le même spectacle. » Ancien hiérarque du système en place, l’homme sait de quoi il parle. Manifestement, Julien Nkoghe Bekale n’en a pas la même perception. Il semble ignorer que quand, au Gabon, le pouvoir appelle à une union sacrée, une concertation ou une conférence nationale, ou à la refondation de l’Etat, etc., cela implique une recomposition du gouvernement et une redistribution des postes centraux dans la haute administration. Cette évidente entorse à la méthode Bongo vaut aujourd’hui au PM d’être l’ennemi politique public n° 1.
La conséquence de cette entorse n’a fait qu’aviver un sentiment de méfiance de la part des cybercitoyens gabonais à l’endroit des politiques de riposte du gouvernement, donc de Julien Nkoghe Bekale. Ils affichent leurs doutes sur la toile et se font les hérauts hyperactifs d’une majorité silencieuse. Toute chose qui brouille la lisibilité des initiatives du « président de la République, chef de l’Etat, Son Excellence El Hadj Ali Bongo Ondimba », pourtant diffusées et rediffusées sur toutes les chaînes publiques et alliées. Mais, aujourd’hui, combien de Gabonais sont prêts à aller se faire dépister en masse ? Les 5 530 prélèvements effectués jusqu’ici ne sont peut-être pas la réponse à la question, mais une indication qui traduit assurément qu’en la matière, il n’y a ni vitesse, ni précipitation. Problème technique ou de confiance ? Même le très comme il faut L’union relève que « des zones d’ombre demeurent sur le dépistage de masse » ( L’union du 13 mai 2020) s’interroge.
Ratage de l’appel « patriotique » de Julien Nkoghe à l’« union sacrée », qui sied pourtant comme un gant à la nécessité de combattre un ennemi commun ; déficit de confiance entre dirigeants et dirigés, deux échecs qui isolent progressivement Julien Nkoghe Bekale et pourraient, dans les jours qui viennent, le disqualifier définitivement. Mais alors, qui après, pour quels objectifs ? Wait and see ! Pendant ce temps, le virus qui, comme l’expliquait le PM actuel : « n’est plus seulement importé, […] circule entre nous à moins d’un (1) mètre de distance entre la personne contaminée et la personne saine ».