Au-delà des subtilités juridiques et des cales constitutionnelles qui disqualifieraient ses rivaux les plus sérieux pour la future compétition présidentielle, on ne voit plus très bien qui pourrait empêcher le plus que probable général-candidat à s’installer légitimement au palais du bord-de-mer au terme du processus de transition en cours. Ses récentes tournées républicaines, notamment dans le Haut-Ogooué, indiquent bien que l’homme est en train de restaurer, les unes après les autres, les valeurs qui ont permis la longévité au pouvoir de feu Omar Bongo Ondimba et que son fils Ali était venu mettre à mal durant ses 14 ans de règne.
Prendre les mêmes modes de fonctionnement et les mêmes hommes et y mettre une couche de populisme personnelle, n’est-ce pas ce que serait en train de mettre sur pied le Gl de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema dans la quête de la légitimation, par les urnes, du pouvoir qu’il a pris par les armes le 30 août dernier ? Beaucoup de faits et gestes inclineraient à le penser. Notamment ces hommages appuyés à des personnalités, mortes ou vivantes, ayant contribué à faire s’enraciner le pouvoir de l’ancien grand camarade, président-fondateur du Parti démocratique gabonais (PDG), comme Antoine de Padoue Mboumbou Miyakou, le « roi » de Ndindi, Idriss Firmin Ngari, auteur de la destruction de « Radio-télé Liberté », ou Marie Madeleine Mborantsuo, l’éphémère présidente honoraire de la Cour constitutionnelle en qui Oligui Nguema a découvert des vertus que personne, à part lui, ne lui soupçonnait sérieusement jusqu’à présent au Gabon.
Ne sommes-nous pas là devant une forme de déni de réalités qui restent vivaces dans la mémoire de nos compatriotes ? Indiscutablement… Mais pour le président de la transition, candidat radicalement poussé par ses soutiens à demeurer à la tête du pays, l’essentiel n’est sans doute pas là… Seule compterait à ses yeux, la restauration des institutions léguées par feu Omar Bongo Ondimba que son fils biologique, Ali Bongo Ondimba, n’aurait pas su préserver politiquement. Il en futt ainsi de la gestion des cadres du Haut-Ogooué, la province présidentielle, visitée la semaine dernière par le natif de Ngouoni.
Avec l’arrivée d’Ali Bongo à la tête du pays en 2009, cette partie du pays, à qui il devait son pouvoir illégitime à la mort de son père, a pratiquement été payée en monnaie de singe. Un peu d’ailleurs comme la province de l’Estuaire avec la mise au placard d’un bongoïste comme Jean François Ntoutoume Emane.
Alors que c’est grâce à l’extraordinaire mobilisation et aux votes unanimes des Altogovéens, certifiés par la belle-mère Mborantsuo, qu’Ali Bongo Ondimba était parvenu à s’imposer – on ne sait dans quel ordre – à André Mba Obame et à Pierre Mamboundou-Mamboundou, le fils de Patience Kama Dabany a préféré s’entourer prioritairement d’« étrangers » de l’intérieur et de l’extérieur du pays. Poussant même le culot jusqu’à faire jeter en prison Magloire Ngambia, puis Ike Ngouoni Epigat. Entre-temps, le dictateur émergent, soupçonné d’avoir joué quelque rôle dans la tentative d’assassinat de Jean Pierre Lémboumba Lépandou, s’était à nouveau mis aux trousses du très proche collaborateur de son père, l’obligeant insidieusement à un exil forcé.
L’opinion a fait également le constat qu’une valeur téké comme Marcel Abéké avait dû aussi quitter le pays avant qu’Ali Bongo Ondimba, esseulé politiquement dans le Haut-Ogooué, ne fasse appel à lui pour l’épauler au sein de cette espèce de bouée de sauvetage tardive appelée HCR (Haut conseil de la République).
C’est dire qu’au-delà de la gestion scabreuse des ressources de tous ordres du Gabon, c’est, pour ainsi dire, la marginalisation et la stigmatisation relatives de cadres notables du Haut-Ogooué qui a coûté à Ali Bongo Ondimba son pouvoir il y a dix mois. Il nous revient en mémoire cette discussion entendue dans un bar d’Owendo où un homme, contre toutes évidences, soutenait qu’Ali Bongo Ondimba allait rempiler tranquillement pour son troisième mandat puisqu’il ne lui voyait aucun adversaire. Un autre, assis pratiquement en face, de lui rétorquer « tu es sans doute du Haut-Ogooué, mais il faut savoir que c’est dans sa maison qu’Ali Bongo va écoper. Les Altogovéens le soutiennent pour arriver au pouvoir et s’y maintenir, mais c’est avec des étrangers, des Béninois, qu’il fait du Gabon ce qu’il veut. Quand les gens du Haut-Ogooué vont réaliser, après les élections volées, qu’ils risquent de couler avec lui, ils vont le dégager vite fait ». La suite on la connaît désormais…
En appelant dernièrement au rassemblement et à l’unité ses sœurs et frères du Haut-Ogooué, un bastion naguère acquis au pouvoir présidentiel, le Gl de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema sait, mieux que personne, tout l’intérêt qu’il y a pour lui de composer avec des personnalités, toutes mises en lumière sous Omar Bongo Ondimba, comme Zacharie Myboto (UN), Jean Boniface Assélé (CLR) ou Lemboumba Lépandou (ex-PGCI) et qui en gardent les réflexes. Sous Omar Bongo Ondimba, certaines fonctions et institutions étaient réservées exclusivement à la province chère : les finances, les forces armées, etc.
Sitôt arrivé aux affaires, Ali Bongo Ondimba va commencer à remettre tout cela en question. On a ainsi vu l’ex-dictateur émergent retirer rapidement la gestion de la Primature à la province alliée de l’Estuaire pour la confier au Woleu-Ntem (Daniel Ona Ondo, puis Raymond Ndong Sima) avant de jeter le dévolu sur l’Ogooué-Ivindo (feu Emmanel Issozet Ngondet et Alain Claude Bilie-by-Nze)… C’est sous Ali Bongo Ondimba qu’on a vu, d’abord, Léon Ndong Ntem (sous Paul Biyoghe Mba), puis Yves Fernand Manfoumbi) prendre la direction générale du budget. Le président déchu a aussi fait de deux femmes originaires, respectivement de la Nyanga et de l’Estuaire, des ministres de la Défense nationale : Angélique Ngoma et Rose Christiane Ossouka Raponda. Un autre originaire de l’Estuaire, Etienne Massard Kabinda Makaga. Des postes qui, du temps d’Omar Bongo Ondimba, étaient souvent réservés aux seuls Altogovéens.
Tout comme la gestion de l’état-major des forces de défense et de sécurité du pays. Il a fallu qu’Ali Bongo Ondimba arrive à la tête du pays pour voir quatre ressortissants de provinces autres que celle du chef de l’Etat en fonction diriger l’armée : le Woleu-Ntem, la Ngounié, puis le Moyen-Ogooué (deux fois). Ce sens du partage et du rééquilibrage était diversement apprécié chez beaucoup de cadres et notables du Haut-Ogooué qui n’étaient pas alors forcément pour la perte du pouvoir par un fils du pays. Echangeant avec un confrère de cette province, alors très critique avec le pouvoir déchu, je lui avais suggéré d’œuvrer plus fermement pour le changement du régime pendant la campagne présidentielle à venir. Il me rétorqua très calmement que « nous ne voulons pas aller jusque-là… Nous voulons que les choses s’arrangent ». Pour que le Haut-Ogooué redevienne ultra-dominateur sur la scène nationale comme au bon vieux temps du règne d’Omar Bongo Ondimba ? Cela n’arrivera certainement pas dans les mêmes proportions, avec un président de la République qui appartient biologiquement à deux ethnies dans le nord et le sud-est du Gabon.
Il va donc falloir, pour eux, commencer à composer, non seulement avec le Woleu-Ntem, mais également avec les autres provinces du pays (quatre au total) où la donne sociologique fait de Brice Clotaire Oligui Nguema pratiquement un enfant de la maison… Il s’agit, outre le Woleu-Ntem, de l’Ogooué-Ivindo, du Moyen-Ogooué, de l’Estuaire et de l’Ogooué-Maritime où le président-candidat pourrait retrouver sa nombreuse lignée paternelle, toujours aussi solidaire. Un atout qui compte en politique en Afrique. Souvent bien plus que les programmes, les projets et les bilans.
Est-ce à conclure que, aussi bien pour le référendum de décembre prochain que pour la présidentielle de 2025, c’est pratiquement plié pour Brice Clotaire Oligui Nguema ? Il n’y aurait pas pires aveugles que ceux qui refusent de voir…
Elive Sarah-Noëlle Nyanah-Mbeng