« Je conseille aux jeunes d’aller de temps en temps dans leurs villages pour apprendre leurs langues auprès de leurs vieux », nous a confié ce défenseur de la culture fang qui parle ladite langue avec maestria en la titillant. Nous l’avons rencontré au village Angueng le 20 juillet dernier aux obsèques du général de corps d’armée Simon Pierre Mengome Atome et c’est est lui qui représentait la famille du défunt à cette cérémonie. Rappelons que, d’après les chercheurs, chez les Fang, l’élément culturel majeur et premier est la langue. C’est le vecteur de tous les autres aspects de la culture d’une communauté. Ainsi, la langue fang est très importante, car elle est le socle, la pièce charnière dans l’existence de l’homme fang. « La langue fang est un élément très important de l’héritage que nos ancêtres nous ont laissé », affirmait un sage d’un village yenguï. « Un Ekang, de manière générale, doit savoir d’où il vient, qui est-il et où est-ce qu’il va. Le fang, par exemple, est une langue qui a traversée plusieurs étapes. Elle existe depuis au moins 4 mille ans avant Jésus-Christ. Ses mots ont été changés, modulés et remodulés pour avoir ce que nous avons de nos jours ». A l’origine, le nom est Nfang et signifie ‘’authentique’’, ‘’vrai’’, ‘’honorable’’. Mais à l’arrivée des colons chez nous, ces derniers ayant du mal à le prononcer, ils l’ont francisé en fang.
Mingoexpress : Lors de la cérémonie d’inhumation du général de corps d’armée Simon Pierre Mengome Atome, qui a débuté à Libreville pour se terminer dans son village Angueng, dans le canton Bissock du département du Woleu (Oyem), nous avons remarqué qu’à chaque palabre, ou pour donner les informations, c’est vous qui parliez au nom de la famille du défunt ; principalement face aux oncles de ce dernier. Vous parliez la langue fang avec une maîtrise exceptionnelle avec un mélange d’énigmes et de proverbes. Qui êtes-vous exactement ?
Urbain Obame Ebè : Je suis Urbain Obame Ebè, défenseur de la culture fang, et je suis de la tribu yenguï, natif du village Zogogone, dans le canton Kyè. Je suis donc le petit frère de l’illustre disparu. C’est à ce titre que j’ai été désigné par la famille pour prendre la parole au nom de cette famille. Il faut dire aussi que ma maîtrise de notre langue a joué en ma faveur.
Vous dîtes que je suis proverbial. Vous savez, j’ai l’habitude de dire aux gens que l’un de mes grand-pères m’avait dit que « le Blanc a 9 mois dans l’année scolaire et lui, il avait 3 mois ». Cette éducation vient du corps de garde. Ce que mes grands-parents m’ont appris, c’est ce que je fais aujourd’hui. C’est ce que je suis en train de mettre au profit des autres. Donc, tout ce que je fais, je ne le fais pas par fantaisie. Ce n’est pas un hasard. J’ai été aux côtés de mes grands-parents et j’ai pu retenir ce qu’ils m’ont enseigné. Chaque fois qu’il y avait un souci et la façon qu’ils le réglaient, j’apprenais. C’est cet enseignement que j’applique aujourd’hui.
Nous constatons également que la génération actuelle et, peut-être, celle d’avant ont tourné le dos à leurs traditions en épousant celles venues d’ailleurs. Que représente pour vous cet esprit exogène qui habite la jeunesse gabonaise, principalement celle fang ?
C’est une erreur très grave. Parce que tout être humain doit avoir un repère. Maintenant, si tu tournes le dos à ta culture, à ta tradition, tu vas être appelé enfant sans repère. Parce que c’est la culture qui nous propulse. C’est la culture traditionnelle qui fait de nous les hommes et les femmes que nous sommes. Si vous tournez le dos à votre culture, cela signifie que vous êtes quelqu’un sans repère. Même quand tu vas à l’école des Blancs, votre père vous dit qu’« il faut respecter ton maître ». L’éducation commence à la maison. La culture englobe tout et nous devons la préserver. C’est notre héritage. C’est notre œuf. Cela doit être un profit pour les gens quand nous sommes encore là. La culture n’est pas à négliger parce qu’elle est notre vie.
Lorsqu’il y avait la palabre entre les oncles du défunt et la famille de ce dernier, nous avons constaté que les oncles voulaient s’imposer ; sinon imposer leurs points de vue. Quelle est l’importance des oncles du défunt lors des cérémonies traditionnelles comme l’inhumation et pourquoi vous ne créez pas des écoles d’enseignement de la langue fang ?
Quand nous sommes en situation de deuil comme maintenant, il faut dire la vérité, personne n’est au-dessus des oncles du défunt. Les oncles non plus ne peuvent pas faire seuls. Ils sont là pour trouver des solutions aux problèmes d’ordre organisationnel qui peuvent se poser. Nous devons les respecter parce que la tradition nous montre qu’aussi bien à la cérémonie d’enterrement qu’à celle du retrait de deuil, les oncles sont au-dessus de tous.
Et pour ce qui est de l’ouverture des écoles d’apprentissage de la langue fang pour la jeunesse, nous n’avons pas de moyens pour un tel investissement. En revanche, je conseille les jeunes d’aller de temps en temps dans leurs villages pour apprendre leurs langues, pour aller se ressourcer auprès de leurs vieux parce que ce sont des bibliothèques encore vivantes.
Propos recueillis par C.O.