Dans un pays où les valeurs sont renversées, il n’est pas étonnant que la dignité de l’homme y soit constamment bafouée, même jusqu’en sa dernière demeure. Encore que, dans les sinistres prestations que fournissent les maisons de pompes funèbres installées au Gabon à leurs clients, ce ne sont pas ceux qui sont partis qui en pâtissent le plus, mais plutôt ceux qui les accompagnent à leur dernière demeure.
Déjà malmenés, mentalement et moralement éprouvés par la perte d’un être cher, il faut que les pompes funèbres en remettent une couche pour essorer parents, amis et connaissances de leurs dernières gouttes lacrymales avec des prestations franchement funestes.
On ne parlera même pas ici du peccamineux trafic d’organes humains, du honteux commerce du jus des morts encore appelé « l’eau des morts » ou de la vente au noir de bières et autres accessoires sépulcraux, mais de prestations basiques que sont l’enlèvement, la conservation, le traitement et le transport de dépouilles mortelles. Dans ces registres, Gabosep, Casep-Ga et, dans une moindre mesure, Saaf, ne sont pas des labels de qualité.
D’effroyables, succulentes et franchement lugubres anecdotes circulent dans la populace sur les mauvaises prestations que les maisons de pompes funèbres gabonaises servent à leurs clients qui, de toute façon, n’ont pas le choix s’ils veulent enterrer dignement les leurs. Et Dieu seul sait ce que ça coûte. Cela part des chauffeurs qui confondent leurs corbillards à des bolides lancés sur une piste de rallye, sous-prétexte qu’ils ont d’autres corps à transporter. Les mêmes chauffeurs, adeptes invétérés de Bacchus, oublient parfois des cadavres à l’église ou de venir les récupérer à la maison pour les conduire au cimetière.
Corbillards clandos
Manque de moyens ? Peut-être. Il n’y a qu’à voir les vendredis où plus d’une vingtaine de corps sont souvent programmés pour leur sortie alors que la maison ne dispose pas d’autant de corbillards. Conséquence : une véritable foire d’empoigne où ce sont les plus musclés qui réussissent à s’imposer pour réquisitionner un corbillard. Et c’est toute la suite du programme qui est chamboulé.
Manque de professionnalisme ? Certainement pas. A-t-on besoin d’avoir été à l’école polytechnique pour organiser la sortie de plusieurs avec les moyens dont on dispose tout en tenant compte des aléas de la circulation à Libreville ? Une simple question de bon sens et un petit calcul suffisent pour bien caler les rotations même si, quelques fois, les parents choisissent les mêmes plages horaires pour la sortie des corps des leurs.
En fait, il s’agit d’une coupable désinvolture qui a fini par gagner même des domaines aussi délicats comme la gestion de la mort d’un être humain. Au Gabon, la mort est si banalisée que si l’homme ne se putréfiait pas en dégageant une forte et insupportable pestilence, on le balancerait même dans un lit de rivière comme on le ferait pour le cadavre d’un chien. Malgré les plaintes récurrentes et malgré les fortes sommes que versent les clients aux maisons de pompes funèbres pour enterrer leurs, ces dernières font comme si on les encourageait à se foutre de leurs clients.
Le seul avantage des pompes funèbres est qu’elles seules font de la conservation et du traitement. S’il ne s’agissait que du transport de dépouilles, des clients disposent ou peuvent louer des vans pour transporter leurs morts. C’est ce que font certains quand une maison de pompes funèbres oublie d’exécuter cette partie du contrat. Après les taxis clandos, ce sera peut-être bientôt l’avènement de corbillards clandos. Après tout, on est au Gabon.
Hippolyte Bitegue-bi-Aboghe