Monsieur Joseph Benoît Mouity Nzamba, alias Fidèle Castro de Massanga, proche compagnon de lutte de feu Me Pierre-Louis Agondjo-Okawé au sein du Parti gabonais du progrès (PGP) dont il garde fidèlement l’héritage malgré le poids de l’âge, poursuit le combat commencé avec ses amis pour la libération du Gabon. Dans cet entretien obtenu la semaine dernière, l’homme nous parle, entre autres, de la composition de la nouvelle CNR dont son parti est membre, du nouveau positionnement politique du président Jean Ping, de l’organisation du dialogue national commencé mardi dernier et de la holding Delta Synergie.
Mingoexpress: Merci, Monsieur le président du Parti gabonais du progrès (PGP), de nous recevoir chez vous. Le 02 mars dernier, la Coalition pour la nouvelle République (CNR), dont le président Jean Ping est l’initiateur, a animé une conférence de presse à l’occasion de sa rentrée politique à Libreville. Nous avons remarqué l’absence de M. Jean Ping dans la salle. Pourquoi n’était-il pas là ?
Joseph Benoît Mouity Nzamba : Effectivement, le président Jean Ping était attendu par les militants en joie. Mais pour des raisons que j’ignore, certainement par indisponibilité à son niveau, il n’a pas pu nous faire honneur de sa présence à cette importante rentrée politique. Mais je n’y vois pas de malice.
Nous avons également remarqué qu’il n’y avait que cinq formations politiques à cette rencontre. Comment cela s’explique quand on sait la CNR est généralement composée d’un nombre plus important de partis et de personnalités politiques, ainsi que des associations ?
Les partis politiques qui étaient là sont ceux qui ont initié une charte qui les lie les uns et les autres par les obligations des droits et des devoirs. Ce qui n’existait pas du temps de la victoire écrasante du candidat unique de l’opposition en 2016 du président Jean Ping. Il y avait, bien sûr, la CNR, mais une CNR qui, quand certains ont constaté que Jean Ping n’allait plus arriver au pouvoir, ont commencé à partir voir ailleurs un à un. Rien ne les obligeait à rester avec Jean Ping. Ceux qui sont restés ce sont cinq partis (PGP, CDJ, URDP, PSE et 7MP) qui ont rédigé et adopté une charte des droits et des devoirs de chaque parti envers les autres et en reconnaissant Jean Ping comme initiateur de la CNR et avec qui les cinq partis entendent toujours travailler.
Les Gabonais constatent, surtout, que, depuis le 30 août 2023, date à laquelle les forces de défense et de sécurité ont arraché le pouvoir aux Bongo-PDG, le président Jean Ping n’est plus visible à la CNR. Selon vous, proche de ce dernier (il est d’ailleurs militant du PGP), est-il arrivé au bout de son combat politique ?
Oui, il disait : « nous irons jusqu’au bout ». Le bout c’est quoi ? C’est la démocratie réelle dans notre pays… Jean Ping est invisible parce que la situation actuelle impose qu’il adopte l’attitude de profil bas avec son soutien au CTRI. Il le dit et les gens l’entendent. Mais nous, partis politiques, avons des objectifs de changement, de transformation de la société au service de l’ensemble des Gabonais. Ce sont les mêmes objectifs visés par Jean Ping.
Pour l’opinion, le nouveau positionnement politique du président Jean Ping laisse plutôt croire à la rumeur persistante qui dit qu’il aurait été dédommagé pour son immeuble des Charbonnages qui été détruit par l’armée à la présidentielle de 2016 et que tout ce qu’il a dépensé pendant la campagne de cette année-là lui aurait été également remboursé. Que dîtes-vous de ces soupçons ?
Lorsque vous dîtes cela, la première chose qu’il faut dire, même en deux mots, c’est la pensée à nos morts. Les jeunes qui ont été massivement tués par les balles de fusil au QG de Jean Ping, beaucoup qui ont disparu, les parents qui pleurent leurs morts. Le massacre qui avait été opéré ce soir-là, on ne peut pas l’oublier. Lorsque vous dîtes en plus qu’il aurait été dédommagé, très sincèrement, je n’en ai aucune information. Même pas un soupçon d’information allant dans ce sens. C’est vrai, j’entends aussi parler de ça. De simples gens m’en parlent, mais je n’en ai aucune preuve. Je n’ai aucun fait qui pourrait m’amener à suspecter M. Jean Ping d’être dans le double jeu. En tout cas, nous, au PGP, ne jouons pas le double jeu. Nous pensons que ce serait l’une des questions à aborder lors du fameux dialogue en préparation. Réparer ce qui a été détruit, reconnaître les méfaits des uns et des autres. Puis, les Gabonais, qui ne sont pas un peuple de revanchards, mais un peuple pacifique pardonneraient volontiers à ceux-là qui auront reconnu leurs fautes.
Le PGP avait programmé une assemblée générale le samedi 3 mars dernier à son QG provisoire de l’immeuble du QG du président Jean Ping. Nous avons été surpris qu’elle ait été reportée sine die. Qu’elles en sont les raisons ?
Oui, vous faîtes bien de poser cette question. Le bureau national de notre parti et les militants tenaient beaucoup à cette AG. C’est l’une des instances les plus importantes, avec le congrès, au niveau des statuts et règlement intérieur. Cela aurait permis de faire le point sur la vie du parti, la vie du pays et des engagements futurs par rapport à nos objectifs de la libération de notre peuple et du Gabon. Malheureusement, pour des raisons indépendantes de notre volonté, nous avons été amenés à l’annuler et à la renvoyer sine die.
Le dialogue national inclusif va être organisé par le pouvoir de la transition du 2 au 30 avril de cette année à Libreville et à Akanda. Quel commentaire faîtes-vous sur son organisation ?
Le général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema a dit, en prenant le pouvoir, que face à ce que nous constations, « nous voulons rétablir la dignité, l’honneur des Gabonais et rétablir les institutions du pays ». Nous avons dit qu’à partir du moment où les militaires eux-mêmes disent qu’il devait y avoir un massacre en août 2023, mais qui massacre ? C’est celui qui a les armes. Ils ont évité que les Gabonais entrent en situation de guerre civile. C’est une bonne chose. Et nous, au PGP, avions pris acte de l’intrusion des militaires dans un processus politique en arrêtant la forfaiture qui était pratiquement lancée et qui allait être validée par la Cour constitutionnelle, la fameuse tour de Pise. Nous avons dit bravo. Nous prenons acte, nous sommes des démocrates. Il s’agit bien d’un coup d’Etat et qui, du reste, dit restaurer par un transitaire les institutions de la République. Ce sont des engagements forts que nous avions salués. Et dans ces engagements, le CTRI dit qu’il va organiser un dialogue national inclusif. Nous avons, là aussi, dit oui. Et nous nous y sommes préparés. Le PGP était d’autant prêt à y aller que ses cadres travaillent, sur tous les plans, les programmes et les dossiers de la République… Nous ne sommes pas associés à la préparation. Des voix se sont exprimées massivement dans le sens de dire que « ça ne va pas ». Ce qui peut être restauré, rectifié ou amendé peut encore l’être. Mais tel que c’est parti, permettez que je sois un tout petit peu sceptique par rapport au caractère national et inclusif de cette organisation.
Le président Jean Ping et la CNR disent à qui veut l’entendre votre soutient au CTRI. Mais l’opinion constate que ces militaires ne savent pas vous rendre la monnaie de cette pièce. La preuve, lors des récentes nominations, pour ne parler que du PGP qui regorge d’élites dans tous les domaines et est implanté dans les 9 provinces du pays, n’a bénéficié que d’un membre dans la Ngounié, un dans le Haut-Ogooué et 3 dans l’Ogooué-Maritime. Quel est votre commentaire ?
Je dirai d’abord félicitations à tous les promus depuis le début. Ensuite, je me demande quels sont les critères sur lesquels le CTRI et le gouvernement se basent pour nommer les gens. Je ne sais pas, mais le résultat est là. Les Gabonais ne sont pas des idiots, sont un peuple intelligent même s’ils ne parlent pas. Mais aujourd’hui ils parlent, ils interpellent. La part belle est faite au PDG qui se recycle sous plusieurs formes…
Est-ce à dire que le CTRI est un PDG bis ?
Non, le CTRI n’est pas un PDG bis. Mais les Gabonais disent que ce qui est aujourd’hui, que ce soit dans les assemblées, tels que le Sénat et l’Assemblée nationale, c’est le PDG qui fait la loi. La société civile et autres ont toutes les difficultés du monde à faire prévaloir les idées qu’ils défendaient hier. Ils sont noyés dans le magma du PDG. Même la politique gouvernementale est une politique inspirée de la politique d’hier.
Est-ce que ce n’est pas là une bonne raison pour cette société civile et autres de démissionner ?
Il faut leur poser la question. J’ai parfois l’impression que M. Oligui Nguema est dribblé (si vous me permettez cette expression un peu triviale) parce qu’il y a des décisions qu’on ne comprend pas. Et je sais qu’il le sait et il lui revient de rectifier le tir, de remettre parfois les pendules à l’heure en faisant en sorte que ceux qu’il a déposés hier ne soient pas ceux qui, aujourd’hui dans l’ombre, grenouillent contre ce qu’il dit défendre les intérêts du peuple. Comme il défend les intérêts du peuple, le PGP sera avec lui.
Le jeudi 21 mars dernier, la CNR a été reçue en audience à Sainte Marie par Son Excellence, l’archevêque métropolitain de Libreville, Mgr Iba-Ba. De quoi aviez-vous parlé ?
Il nous a fait l’honneur de nous recevoir. Et je dois vous dire qu’il nous a reçus comme un berger au sens de la Bible. Nous lui avions exposé nos préoccupations, nos vues par rapport à ce que nous pensons être le dialogue national inclusif. Il nous a écoutés et nous a fait un certain nombre d’analyses. Permettez que je garde pour moi. C’est un homme responsable, soucieux de l’intérêt de son pays, le Gabon. C’est un homme d’Eglise, conscient de ses responsabilités… Nous lui avons laissé un document qui synthétise ce que nous lui avions dit oralement.
Dans son communiqué n° 055, le CTRI annoncera qu’il lancera dans les tout prochains jours un audit général (financier, technique, immobilier et mobilier) de la holding Delta Synergie. Pensez-vous qu’il ira jusqu’au bout ?
La holding Delta Synergie est considérée par les Gabonais comme cette espèce de pieuvre qui draine une très grande part de leurs richesses, les richesses du peuple gabonais. C’est bien connu. Ouvrir ce dossier comme ça été annoncé, je dis que c’est un acte de courage à saluer… Bravo ! Allons jusqu’au bout même si c’est un dossier délicat… Dès que cela a été annoncé, vous avez vu la liste qui a été publiée dans les réseaux sociaux comme membres de Delta Synergie. Faisons confiance au CTRI ! Faisons confiance au pouvoir qui vient après la transition pour que ceci soit mis au clair. Pour que les choses soient mises en ordre au bénéfice du plus grand nombre.
Propos recueillis par C. O.