A la veille de la nouvelle année, nous sommes allés à la rencontre du président du parti de l’opposition Les Démocrates (LD). Avec Guy Nzouba Ndama nous avons abordé la vie de son parti, les réalités de l’opposition gabonaise ainsi que l’Etat de la nation. Lecture !
Mingoexpress : Monsieur le président, bonjour ! Comment allez-vous ?
Guy Nzouba Ndama : Bonjour ! Merci de m’accueillir dans vos colonnes. Je me porte bien en cette période d’incertitude sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19. C’est une grâce.
Il y a quelques jours, vous étiez du côté de Bitam, dans le grand nord, pour le rituel de rentrée politique de votre parti. Pourquoi le choix de Bitam ? Etes-vous rentré satisfait de cette tournée ?
Avant Bitam, nous étions à Mouila en 2019. Après la suspension de nos activités, imposée par le contexte de la Covid-19, au moment le plus incertain de la connaissance du danger et de la puissance meurtrière que représentait la pandémie, nous avons enfin pu renouer cette année avec notre traditionnelle rentrée politique délocalisée dans le Gabon profond. Chaque fois nous privilégions d’abord les localités où le parti est suffisamment implanté. Là où nous avons des élus et les régions dont sont originaires les membres du bureau exécutif de notre famille politique.
Dans le cas de Bitam, nous avons le Secrétaire général du parti qui est natif de cette ville. En outre, comme je l’avais souligné dans mon propos de rentrée, cette ville est certainement l’une des plus généreuses et accueillantes du Gabon, à l’image du Woleu-Ntem dans son ensemble. Bitam et ses environs sont, par ailleurs, l’une des rares localités du pays où les femmes et les hommes ont depuis longtemps compris l’importance d’avoir des opinions politiques et de les assumer pleinement. Ici, les femmes et les hommes ont notamment compris qu’on ne prend pas à la légère un engagement politique. Ils ont surtout compris combien les décisions politiques déterminent la qualité de leur vie, combien elles peuvent jouer dans l’amélioration ou la dégradation de leurs bases matérielles de l’existence. C’est pourquoi, à Bitam, on peut aisément constater que les opinions politiques se vivent avec passion, ferveur, loyauté et constance. Un « OUI » est un « OUI » franc et sincère. Un « NON » est également un « NON » franc et catégorique. Bitam ne trahit presque jamais son positionnement politique lors des grands rendez-vous. Le Woleu-Ntem trahit rarement ses préférences idéologiques. Toutes ces qualités valent bien qu’on soit irrésistiblement attiré et fasciné par le septentrion. Je puis vous affirmer que notre satisfaction est totale. Nous avons été accueillis dans une grande ferveur témoignant de l’espoir dont nous sommes porteurs, mais surtout de la soif de changement qui habite nos compatriotes du nord à l’image de ceux d’autres provinces du pays.
Vous êtes un notable politique de la République. La semaine dernière, un autre notable, originaire de l’Estuaire, Paul Biyoghe Mba, pour ne pas le citer, a lancé une algarade dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale en affirmant que les originaires du Haut-Ogooué et de l’Ogooué-Lolo se partagent à eux seuls, au sein du bureau de l’Assemblée nationale et sur le dos des 7 autres provinces, l’essentiel des postes, soit 10 postes sur 15. Cette boule puante est-elle justifiée ou il s’agit d’un faux débat ?
J’ai beaucoup d’admiration, de respect et d’amitié pour le Premier ministre Paul Biyoghe Mba. Je ne sais pas dans quelles conditions il a été emmené à faire cette déclaration ou à poser ce constat. Je voudrais croire qu’il resterait vigilant et ne céderait pas à la tentation du discours séparatiste abondamment développé ces derniers temps par la majorité présidentielle, car son propos, s’il est avéré, pourrait malheureusement donner qu’il oppose des parties du pays à d’autres, voire des composantes ethno-linguistiques à d’autres. Ce qui n’est pas digne des valeurs et de la conception de la nation que je lui connais. Si problème il y a, dans le constat qu’il pose, celui-ci se trouve ailleurs. Il se trouve non pas dans une question d’ethnies ou de provinces, mais les erreurs de casting, l’amateurisme affligeant et l’absence de vision dont fait preuve le PDG dans le partage du pouvoir avec ses alliés comme dans une gestion des affaires publiques. Je ne dirais point davantage, au risque de trop me mêler d’une querelle familiale. D’autant plus que je n’ai aucunement envie d’être ni un conseiller ni un objecteur de conscience des dirigeants du PDG.
En 2016, Guy Nzouba Ndama, pourtant bien positionné au niveau de l’opinion face à Ali Bongo, s’était désisté pour Jean Ping. Quelle en était la raison ? A supposer qu’en 2023 une situation similaire se présente à vous, allez-vous céder de nouveau ?
Mon désistement au profit de Jean Ping était une réponse citoyenne à la volonté manifestée par le peuple gabonais de voir l’opposition unie autour d’une candidature unique afin de maximiser ainsi les chances de battre le candidat du régime. Au regard des résultats, le peuple ne s’était pas trompé et ma conscience non plus. Quant à la seconde phase de votre question, ce n’est ni le lieu ni le moment de vous dévoiler des quelconques intentions pour 2023. Le moment venu, les instances du parti se pencheront sur ces ambitions pour cette échéance électorale ainsi que sur la question des femmes et des hommes susceptibles de les porter. Ni trop tôt ni trop tard. C’est à la nuit tombée, dit-on, que l’oiseau de Minerve prend son envol.
Vous dirigez le premier parti de l’opposition en termes d’élus, le parti Les Démocrates. Originaire de l’Ogooué-Lolo comme Paulette Missambo qui vient d’être élue présidente de l’Union nationale. Comment appréciez-vous cette élection ?
Vous me donnez l’occasion d’adresser solennellement mes vives et sincères félicitations à Madame Paulette Missambo pour le choix ô combien mérité et surtout novateur que les électeurs de l’Union nationale ont bien voulu porter sur sa personne. Comme présidente de ce parti, elle a l’étoffe et la connaissance politique exigibles. Nous avons en partage le désir d’installer une démocratie digne de ce nom et de développer notre pays conformément à sa richesse humaine et économique. Dans les prochaines semaines, je solliciterai la disponibilité de son calendrier pour initier des réflexions et échanges d’idées autour de ces préoccupations communes. Vous avez donc mauvaise langue quand vous voulez me prêter l’intention de la considérer comme une rivale politique. Nous sommes du même camp. Nos adversaires politiques se trouvent à l’autre bord.
Pour la province dont nous sommes tous les deux originaires, et même à l’échelle du pays, l’élection de Madame Missambo à la présidence de l’UN est un motif de grande fierté. D’autant plus qu’elle est la première femme à jouer ce rôle dans l’histoire contemporaine du Gabon. Par ailleurs, je souhaiterais que vous ne me parliez plus jamais de « terres » comme d’une sorte de propriété privée électorale. Je suis Gabonais et je dois électoralement pouvoir me sentir partout chez moi et pas seulement dans l’Ogooué-Lolo. La règle est de mise pour tous les autres leaders politiques, quel que soit leur bord. Manifestement, vous êtes déjà influencés par les discours séparatistes abondamment prêchés par le pouvoir en place.
Avez-vous le sentiment d’avoir désormais une rivale politique sur vos terres ? En dehors de votre sortie de Bitam, Guy Nzouba Ndama observe depuis des mois un silence que d’aucuns trouvent suspect. Pourquoi être si avare en paroles ?
Je me suis expliqué sur ce silence à Bitam. J’avais souligné « qu’il ne s’agit ni d’un découragement ni d’un recul devant nos propres responsabilités. Il s’agit plutôt d’un silence méditatif qui nous permet de contenir et de transformer en force utile une certaine colère ou indignation face au théâtre de mauvais goût que le gouvernement de la République n’a de cesse de nous servir. Théâtre auquel nous sommes contraints d’assister bouche cousue au risque d’être accusés de pauvres aigris qui parleraient uniquement pour vouloir exister politiquement ou faire des appels du pied au pouvoir en place. Par ailleurs, nous sommes dans un contexte où l’opposition n’est pas considérée comme interlocuteur. Nous sommes surtout dans un contexte où un certain entourage du chef de l’Etat travaille presqu’à vendre le rêve d’un retour à l’époque du parti unique et l’illusion fantasmagorique d’un règne sans fin. Par conséquent, notre silence est-il une forme de réponse au mépris dont les acteurs de l’opposition font l’objet de la part des tenants du pouvoir ? Enfin, s’il faut que nous parlions, il faudrait également que notre discours soit le plus constructif possible parmi les banalités qui inondent une certaine presse. D’autant plus que nous refusons également de donner l’impression d’être des chroniqueurs journaliers de l’actualité politique ou de nous livrer, aux côtés des autres leaders de l’opposition, à une sorte de concours dont le gagnant serait celui qui parlerait le plus ou dénoncerait avec le plus de virulence les manquements de l’Exécutif. Or, face à un gouvernement volontairement sourd et aveugle, l’opposition ne gagnerait-elle pas davantage à mieux s’organiser, à préparer son destin, à dépenser son énergie en travaillant ses propositions pour une offre politique alternative ?
Plutôt que de suivre le rythme effréné des réseaux sociaux, les politiques devraient toujours s’accorder un temps de silence pour creuser et mener leurs réflexions en profondeur. Tel est notre choix. Pour ceux qui seraient toujours tentés de considérer notre silence comme une faiblesse, nous leur conseillerions volontiers de méditer cette belle pensée du général De Gaulle : « Rien ne rehausse mieux l’autorité que le silence, splendeur des forts ». Fin de citation.
2023 pointe son nez et l’opposition peine à se retrouver pour se constituer en groupe de pression et exiger du régime des conditions d’organisation des élections qui ne seraient pas semblables à celles de 2016. Pourquoi cette méfiance entre vous ? Ce qui vous divise est-il plus grand que ce qui peut vous unir ?
Il n’y a aucune méfiance entre les partis de l’opposition. Encore moins entre leurs leaders. On ne peut rien exiger à un pouvoir, de surcroît sourd et allergique aux idées de l’opposition comme c’est le cas actuellement. Vous parlez d’exiger du régime des conditions d’organisation des élections qui ne seraient pas semblables à celles de 2016. De toute évidence, elles ne seront plus les mêmes. Le dialogue ou, plutôt, le monologue d’Angondjé avait, par exemple, entériné le principe de l’élection à deux tours. De même, il avait redéfini le rôle de chacune des instances autrefois destinées à gérer les élections. Si doute il y a, il résiderait davantage dans la sincérité du pouvoir quant à sa volonté d’appliquer les nouvelles normes électorales.
Nous sommes en pleine pandémie de Covid-19. Au lieu d’en faire un problème sanitaire, le régime en a fait une question politique de privation de liberté et d’obligation à la vaccination. Votre point de vue sur la question ?
La réponse est dans la question. Cependant, vous me donnez l’opportunité d’apporter mon soutien le plus ferme et le plus assuré aux compatriotes membres du Copil citoyen, lesquels combattent courageusement, avec un patriotisme exacerbé, les aberrations du gouvernement dans sa gestion calamiteuse et hasardeuse de ladite crise sanitaire. Les Gabonais montrent la lune, le pouvoir en place et son gouvernement en particulier regardent le doigt. Une fois de plus, je ne résiste pas à l’envie de vous servir un morceau choisi de mon allocution de Bitam où je déclare : « alors que la misère gagne dorénavant les familles autrefois épargnées, les Gabonaises et les Gabonais se demandent que sont devenus les fonds promis par le président de la République et les donateurs privés. Pourquoi le gouvernement ne fait-il pas un bilan clair de l’utilisation des ces importantes sommes d’argent ? Pourquoi le rapport de la mission parlementaire, commis à cet effet, n’est-il pas rendu public jusqu’à ce jour ? ».
Face à ce manque de clarté, tout porterait à croire que le Covid-19 serait devenu une autre occasion de d’enrichir quelques individus. Quant aux mesures barrières, on pourrait bien se demander si leur perpétuel prolongement et leur caractère toujours plus contraignant ne seraient pas devenus le moyen de priver les Gabonaises et les Gabonais de leurs libertés fondamentales : liberté de circuler, liberté de se réunir ou de vaquer normalement à leurs occupations quotidiennes. Jusqu’à quand va durer cet emprisonnement déguisé de la population ? Jusqu’à quand vont durer les humiliations de ces mères et pères de famille contraints de braver les consignes d’un couvre-feu en vigueur depuis presque deux années alors qu’ils tentent de survivre dans un contexte de sévère économique en travaillant tard ? Toutes les économies de la sous-région sont à l’heure de la reprise. Seule l’économie gabonaise reste encore prisonnière d’un schéma Covid qui la paralyse. Il est plus que jamais urgent d’en sortir.
Le régime a appelé au rassemblement, via Ndemezo’Obiang, des fils spirituels d’Omar Bongo autour d’Ali Bongo. Vous sentez-vous concerné par cet appel ?
J’ignore le contenu que René affecte à l’idée de « fils spirituels d’Omar Bongo ». Par ailleurs, j’ai la faiblesse de penser que la politique n’est pas une affaire de spiritualité ou de spiritisme. De façon très basique, il s’agit de s’interroger sur les problèmes de la cité afin d’en trouver des solutions convenables ; c’est-à-dire susceptibles d’apporter le bien-être aux citoyens. Dans tous les cas, je me sens loin d’être concerné par un tel appel malgré ma considération pour le promoteur de cette idée.
Nestor Andome Ayi, au nom du régime, procède au ‘’dopage’’ des acteurs de l’opposition au profit d’Ali Bongo. A-t-il fait l’étape des Démocrates ? Etes-vous prêts à discuter avec ce monsieur des conditions d’alliance avec Ali Bongo ?
Je ne sais pas qui est M. Andome Ayi ni les tenants et les aboutissants de sa mission. L’histoire récente recommande de se méfier des « messagers intimes ». En revanche, si je devrais discuter avec le président de la République, nos échanges porteraient non pas sur des conditions d’alliance, mais plutôt sur l’état de délabrement, de déliquescence et de recul du pays sur tous les plans. Nos échanges porteraient sur sa responsabilité à devoir changer cette situation.
On aurait dû commencer par là. Comment se porte le parti Les Démocrates ?
Comme toutes les formations politiques de l’opposition, nous connaissons des difficultés qui nous empêchent de dérouler convenablement notre plan d’action. Mais, dans l’ensemble, notre formation politique se porte plutôt très bien. Dans les prochains mois, nous comptons poursuivre l’œuvre d’implantation des structures de base à travers le Gabon profond, car nous sommes plus que jamais conscients de l’espérance que notre parti suscite auprès des Gabonaises et des Gabonais.
Votre mot de la fin ?
Une fois de plus, je vous remercie de m’accueillir. Vous vous plaignez du silence de l’opposition, c’est à vous de la rendre également audible dans un contexte où les médias du service public ne sont pas souvent disposés à relayer nos activités.
Enfin, permettez-moi de saisir cette occasion pour adresser d’ores et déjà mes vœux d’une bonne et merveilleuse année 2022 à l’ensemble des compatriotes, aux militants et sympathisants Les Démocrates en particulier. Puisse le Très-Haut étendre sa main protectrice sur la maison Gabon !
Propos reccueillis par GPA