Le Burkina Faso est souvent mentionné, surtout depuis le départ alambiqué de Blaise Compaoré, comme modèle pour le Gabon. C’est oublier l’histoire et la sociologie de ce pays pauvre et enclavé. En fait, depuis l’indépendance tous les présidents sont tombés de la même manière : en plein mandat.
Cela a des racines anciennes. Les mossis – le groupe majoritaire – sont des guerriers et c’est une société très démocratique. Il y avait avant la colonisation donc plusieurs systèmes politiques lignagers, et même étatiques. Depuis l’indépendance, il y a des élites dominantes modernes notamment civiles et militaires et des élites traditionnelles. C’est l’amalgame de ces élites qui tient le système. Maurice Yameogo premier Président (1960-66) était parti, suite à des émeutes où des gens comme l’excellent historien Joseph Ki-Zerbo avaient défilé et demandé à l’armée de prendre le pouvoir, eu égards à sa gestion peu rigoureuse des deniers publics devant la pauvreté massive des voltaïques. Ce qu’elle fit sous la houlette du colonel Sangoule Lamizana (1966-82) alors chef d’état-major qui prit le pouvoir, ouvrant ainsi un long cycle militariste. Lamizana avait même gouverné avec des civils et instauré le multipartisme avec des partis et syndicats très organisés. Puis il avait lui-même été évincé par des émeutes et remplacé par le colonel Zaye Zerbo (1980, un autre militaire), qui lui-aussi avait été déposé en 1982 par un homme effacé ; le commandant médecin-chef Jean-Baptiste Ouédraogo candidat de compromis entre les putschistes extrémistes. Il fut lui aussi évincé par le Quatuor Sankara-Compaoré-Lingani-Zongho (1983-87). Et enfin Compaoré (1987-2014) eut raison de Sankara. Il apparait ici, que l’armée était bien le cœur du système, au point que le président actuel Roch Marc Kaboré lui-même (fils d’ancien ministre), ministre et Premier ministre est le seul président civil élu de ce pays depuis Maurice Yameogo en1960.
Il est souvent dit que ce furent des manifestations qui ont eu raison de Compaoré certes, mais il en avait connu plusieurs pendant 27 ans sans conséquences. En réalité, les opposants avaient ici un argument de taille, car Compaoré avait des velléités de modification constitutionnelle provenant plus de son camp que de lui-même. Les fameuses émeutes avaient en réalité été fomenté par les français et les américains en collusion avec le Général de gendarmerie Djibril Bassolé alors ministre des affaires étrangères qui avait été travaillé au corps depuis par les français et les américains. Ce ne furent donc pas des manifestations spontanées que la prise de l’Assemblée nationale avait été préparée avec la gendarmerie à l’insu de Compaoré. Les gendarmes avaient été chargés de laisser entrer les émeutiers et occuper l’Assemblée nationale. A la fin Djibril Bassolé s’est fait avoir, car on lui avait promis le trophée présidentiel. Le président actuel n’est que l’ancien numéro deux du régime Compaoré donc un cacique et non une figure nouvelle. Les sankaristes se ont pris une raclée durant la présidentielle. Ils ne pèsent rien, car ils n’ont pas de ressources.
Les américains avaient utilisé la même méthode aux philippines en 1986 contre le président Ferdinand Marcos. La CIA en complicité avec l’église avait fomenté des manifestations perçues partout comme une révolte populaire spontanée. Il n’en fut rien. Ce détour invite à plus de prudence et à la contextualisation des actions. Il n’y a rien de tel au Gabon. L’histoire est un facteur structurant des pratiques politiques. Les gabonais ne sont pas des burkinabés ni des algériens ! Ils ne sont pas apathiques mais attentistes.
La réalité du Gabon est différente. Les enjeux ici ne sont pas les mêmes. Notre histoire, notre sociologie et notre anthropologie sont complexes. Les exemples étrangers méritent réflexion. Et non un mimétisme, naïf, puéril et inefficace. La profondeur stratégique du Gabon est spécifique et dirimante. Ce pays suscite des convoitises. Les ambassadeurs américains et français avaient bien assisté à l’investiture d’Ali Bongo en 2016. Malgré leur discours officiel sur les « principes universels ». Quatre des cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Chine, Etats-Unis, France, Russie) ont des intérêts au Gabon. Il y a même depuis quelques temps, une base militaire américaine installée au Gabon du côté de Setté-Cama, à l’insu du grand public. L’invocation de la « communauté internationale » est le prétexte d’inertie des acteurs gabonais dépourvus de solution nationale au-delà de la parlotte. Il faut lutter contre les forces internes et externes du statu quo. C’est entre cette alliance qu’il faut agir. Ce qui implique des analyses rigoureuses. Aucun modèle étranger ne peut s’y plaquer avec succès. Aucun braillard fascisant Premier ministre italien ni député européen allemand. Aucune « Communauté Internationale » ne viendra à la rescousse du Gabon. Il appartient aux gabonais de définir leur propre stratégie de sortie de l’autoritarisme. Le travail de l’opposition commande à comprendre la complexité du monde. Notamment le type de réseaux dans lesquels le Gabon est encastré. Aussi s’il est souvent dit que les gabonais sont des panthères, Il convient plutôt de dire que ce sont des panthères menées par des ânes. Il n’y a pas de raccourci, ni de prêt-à-penser pour le développement. A chacun son histoire.