Comment empêcher que l’on se pose des questions, toutes sortes de questions, non plus sur la santé d’Ali Bongo Ondimba, mais désormais sur le fait de savoir s’il vit toujours. Les réseaux sociaux en sont là. Pour certains, il ne se trouve pas à Rabat, mais son corps se trouverait plutôt à Londres. Si c’est le cas, qu’attend le pouvoir pour démontrer le contraire ?
Les journaux de la place, y compris nous, ne peuvent que se limiter au constat d’absence du successeur d’Omar Bongo Ondimba depuis maintenant plus de quatre mois, mais les Gabonais veulent savoir. Et la furtivité de sa « présence » sur le territoire gabonais a plutôt le don de renforcer les doutes. Notamment sur la toile où se répand le bruit que c’est un acteur africain qui camperait le rôle d’Abo depuis l’annonce de son départ de Riyad. La plupart des vidéos, diffusées en guise de reportages, sont destinées à attester que c’est bien lui, Abo, qui s’entretenait, sans qu’on puisse l’entendre, avec Mohammed VI, qui s’est laborieusement adressé, le 31 décembre 2018, aux Gabonais, qui a présidé la prestation de serment des membres du gouvernement ainsi que le dernier Conseil des ministres. Le doute est plus que permis. C’est même là un devoir de journaliste que de douter. Est-ce bien lui ? Qui ne se pose pas cette question au Gabon ? En tous cas, Le Mbandja et bien d’autres confrères, se la posent.
Et quelle est donc cette gorge profonde gabonaise qui s’est confiée à l’agence américaine Bloomberg pour lui révéler que « Les médecins de Bongo s’attendent à ce qu’il récupère complètement, même s’il est en convalescence lente » et qu’il devrait se rendre à Libreville « pendant deux ou trois jours, la semaine prochaine [cette semaine- ndlr] pour superviser une réunion du cabinet » qui pourrait déboucher sur un Conseil des ministres ? Bloomberg doit certainement estimer que cette source, proche d’Ali Bongo, doit être fiable, mais, apparemment, pas au point pour l’agence américaine d’affirmer qu’elle a pu vérifier l’état de santé et celui des capacités physique d’Abo par elle-même.
Les choses pourraient être tellement plus simples. Comme, par exemple, profiter d’un de ses passages furtifs pour organiser une conférence de presse avec la presse gabonaise, toutes tendances confondues, afin que les rédactions en soient édifiées grâce à leurs premiers appareils d’enregistrement que sont la vue, l’ouïe, et, accessoirement, le toucher qui sont nos premiers outils pour se faire l’intime conviction que celui à qui nous parlons est bien Ali Bongo Ondimba et non son ersatz. Il est clair que l’entourage d’Abo fuit cette vérification par les sens comme la peste. Même ses « parents » ne parviennent pas à le voir. Ils étaient pourtant bien nombreux devant le petit écran, en 2015, pour attester qu’il était bien né au Congo Brazzaville. Qui et où sont-ils aujourd’hui ? Etaient-ce vraiment ses « parents » ou alors n’étaient-ce, eux aussi, que des figurants ? Comment ne pas se poser toutes ces questions ? Comment alors ne pas penser qu’il y a quelque chose que, depuis là-haut, on doit, on veut ou on est en train de cacher aux Gabonais ? Il ne faut donc pas se leurrer. Les Gabonais ne sont ni sourds, ni aveugles, ni…étêtés. Ils ont déjà dû comprendre que la junte au pouvoir ment.
En effet, pourquoi Ali Bongo Ondimba, finalement capable, malgré un AVC particulièrement « sévère », de tenir de longues distances en haute altitude, dans une ambiance pressurisée, pour, redescendu sur terre, diriger, dans la foulée, un Conseil des ministres qui a entériné près d’un millier de décisions, de les parapher toutes de sa main valide, pourquoi, requestionnons-nous, apparemment au mieux de ses capacités physiques et intellectuelles, ne quitte-il pas le Maroc pour retrouver ses bunkers de La Sablière et de Libreville ?
Par ailleurs, comment expliquer que certains, considérés comme des proches parmi les proches d’Abo aient – on pense à Liban Soleman, au Coréen Park, à Saïd Abeloko, Ondias Souna, Nina Abouna, pour ne citer que ceux-là – été « écartés » par lui-même ?
Manifestement, les centaines de nominations et autres décisions, notamment quatre importantes suppressions (Bureau de coordination du plan stratégique Gabon émergent = BCPSGE, Fonds national d’aide sociale = FNAS, comité de privatisation, Conseil gabonais des chargeurs = CGC), sans oublier le directeur de cabinet du Premier ministre, qui ne serait pas le choix originel de Julien Nkoghe Bekale, sont symptomatiques du fait que le système Bongo veut faire peau neuve. Comme les reptiles, il est amené à renouveler la partie superficielle de son épiderme. Il ne s’agit donc pas réellement d’un changement. Le système Bongo est en train de muer. Le résultat de cette mue, encore en acte, et prévu pour s’achever dans 6 mois. Le temps annoncé par Bloomberg pour clore la convalescence d’Abo, hors du Gabon.
Que peut attendre le peuple gabonais de cette mutation interne du système Bongo ? Une mutation qu’il faut comprendre comme autonome, sans intervention extérieure. Une auto-régulation contrôlée par les différents clans en bataille pour l’après-Abo. Une régulation en interne de la fonction présidentielle. Le système Bongo n’est pas en train de s’auto-détruire. Il s’adapte pour durer. D’ailleurs, un serpent, même s’il a fait la mue, reste un serpent.
Le système colonial, pour conserver la haute main sur le pays, s’est auto-régulé et a choisi Léon Mba, en 1960. Le système Bongo a coopté Albert-Bernard, devenu Omar Bongo Ondimba de 1967 à 2009. Le système Bongo appuie Ali Bongo, depuis 2009. A chaque fois, comme on le voit, il y a eu auto-régulation. Aujourd’hui, il est en plein dedans.
C’est pourquoi la vacance, il ne la déclarera que lorsque le moment sera venu pour lui de la constater et de l’annoncer officiellement. Vraisemblablement dans 6 mois, après les modifications prévisibles de la Constitution préparant une transition plus longue que certains se l’imaginent.