Le texte ci-dessous sur Emane-Tôle fut écrit par l’excellent François Meye. Je l’ai retranscrit tel quel. Son auteur mérite d’être connu et l’histoire d’Emane-Tôle devrait être recontextualisée. François Meye M’Ecoure (1922-1970), homme de lettres, enseignant, puis homme politique, fut l’un des plus grands esprits gabonais tôt disparus. Dans ma jeunesse, l’on nous parlait de lui et de son brio. J’avais appris sa mort alors que j’étais un gamin. Ce balisage historique qu’il fait d’Emane-Tôle est nécessaire afin de remettre l’histoire du Gabon à l’endroit au-delà du militantisme mémoriel et autres fantasmes historiques qui tombent souvent dans le piège l’anachronisme.
De fait, les Gabonais sont ignorants de leur histoire. Ce faisant, l’historiographie gabonaise, pour paraphraser M. Liniger-Goumaz, a subi une double manipulation : celle des notes de voyages et autres récits romancés par des explorateurs et autres aventuriers de la côte gabonaise (Paul du Chaillu) qui ont manipulé aussi bien les historiens que les peuples locaux, et celle des archives françaises reprises comme référence sacrée (une forme de doxa) par des chercheurs gabonais.
A cette double mystification j’ajoute une troisième : la tentation de l’Etat (surtout du régime Bongo-PDG) qui se veut historien en érigeant en « héros nationaux » tous ceux qui se seraient soulevés sous la colonisation alors que leurs motivations n’étaient pas vraiment nationales. Faut-il rappeler que la nation gabonaise n’existait pas à leur époque ? Et ils ne se battaient (des jacqueries locales et non des révolutions nationalistes) pas pour en construire une. Ces impressions ont été reprises par des historiens gabonais de la première génération. Ces historiens, dont la plupart ne lisaient pas l’anglais, ont repris les poncifs français de la deuxième moitié du XIXè siècle.
Ce malentendu historiographique entretient la confusion sur ce que serait une histoire gabonaise. C’est le cas des Fang, par exemple, présentés à tort comme les « derniers arrivants au Gabon », un mythe récurrent. L’historien feu Ange Atos-Ratanga parlait même « d’immigration fang au Gabon » sans dire d’où venaient-ils, car le Cameroun actuel n’existait pas en tant que pays à cette époque. Une confusion entre des populations qui habitaient de part et d’autre du Ntem et du Woleu (on disait bien bour be ya Ntem-Ayar ou ceux de l’outre-Ntem) avec le sud du Cameroun actuel.
En effet, dans la langue fang, les Boulou ou Begwule (ceux qui sont repartis) et les Mekè (ceux qui sont partis), autrement dit, qui se déplaçaient, mais vers le nord-ouest (estuaire), nord-est (Ivindo), ceux qui ont traversé le Komo (Nkoma), sont donc les Mekè-me-Nkoma (estuaire) et ceux de l’Ogooué (Meke-Mingoue). Ce ne sont pas des envahisseurs étrangers à un Gabon préexistant comme pays souverain, mais des autochtones qui se déplaçaient chez eux. Aussi, cet évènement ayant coïncidé avec le moment colonial, ils sont devenus « étrangers » pour les coloniaux quand ils ont commencé à résister au nouveau monde. Ces historiens apeupristes ne se sont pas demandé de quel Gabon ils parlent. Le Gabon au XIXè siècle, c’était essentiellement Libreville et, plus précisément, l’espace qui s’étend du quartier Glass – lieu de l’implantation occidentale au Gabon – à Kringer, c’est-à-dire Batterie IV, voire la limite actuelle de l’ancien hôtel Dialogue. Le reste, au-delà de cette zone, demeura terra incognita jusqu’à la découverte de l’Ogooué par les explorateurs.
Les Fang ne sont pas un peuple anthropophage
Quant aux Mpongwè, ils ne connaissaient pas l’intérieur forestier de ce que l’on nomme de nos jours l’Estuaire. Curieusement, ces derniers n’ayant pas vécu avec les Mièpamwé, ne pouvaient situer leur antériorité au Gabon. Pis, le régime Bongo-PDG, devenu historien, a voulu manipuler le passé afin de présenter les Fang comme des étrangers. Et donc qui ne peuvent plus revendiquer le pouvoir présidentiel au Gabon. Il en est de même de l’accusation d’anthropophagie dont les exemples mentionnés au Gabon ne citent jamais des cas fang, mais, paradoxalement, dans d’autres groupes (j’y reviendrai) qui accusent les Fang de cannibalisme. Ils ont repris les fantasmes de Paul Du Chaillu (1831-1903) dont le récit (selon mes recherches) avait été romancé à la demande de son éditeur américain, Harper and Brothers, qui lui avait demandé de faire dans l’exotisme afin de faire mieux vendre l’ouvrage au public américain en quête de récits exotiques. Et pourtant, la généalogie fang (la mienne je la maîtrise et il n’y a pas un seul trou : tous viennent de la vallée de l’Ogooué) dément tous ces préjugés.
Henri Trilles (1866-1949), dans ses délires ethnographiques, n’est pas en reste dans la fantasmagorie et l’affabulation. En effet, celui que l’on appelait « le petit soldat de l’ethnologie catholique et héraut du peuple fang » disait avoir vécu « 15 ans parmi les anthropophages », autrement dit les Fang (dans la région de Lambaréné, son premier poste), mais sans la moindre preuve de leurs festins anthropophages. Le problème ici, c’est que comment a-t-il pu survivre parmi ces anthropophages qui, semble-t-il, n’avaient pas d’appétit à son égard quinze années durant ? De plus, tous les anthropologues ayant travaillé sur le Gabon confirment que les Fang sont les seuls à avoir une généalogie cohérente. Henry Bucher, historien américain spécialiste des Mpongwè, dit qu’il avait rencontré un vieux Mpongwè (93 ans) à Libreville (1969) lors de ses recherches. Mais ce dernier était incapable de se souvenir de sa généalogie.
Ceux qui ont travaillé dans le Fernan-Vaz ont fait le même constat. Leurs interlocuteurs ne peuvent se situer au-delà de la grand-mère. Dans le Moyen-Ogooué, c’est un vrai carnaval historiographique chez les Gwèmyènè (Galwa, Adjumba, Enenga). Ils revendiquent des rois alors que ce sont des sociétés segmentaires. Les Aga (singulier Oga) ne sont pas des chefs, mais des anciens sages qui ont de la bouteille. Ils furent donc les interlocuteurs privilégiés des premiers explorateurs qui les ont dépeints comme des rois. Un paradoxe anthropologique puisque ces sociétés segmentaires et anarchistes n’ont pas de chef. Dans le Fernan-Vaz, ils désignaient des Aga blancs pour les représenter dans leurs conciliabules avec les autorités coloniales au motif que les Blancs pourraient mieux comprendre d’autres Blancs porteurs de leurs doléances.
De fait, « à partir des années 1850, les clans orungu et nkomi désignèrent une série de Français missionnaires, commerçants allemands et chercheurs américains comme Aga et officiels. Le souverain nkomi, Onanga Oyombo, désigna l’aventurier Paul Du Chaillu, en 1858, comme Makaga. Ainsi il appliquait les jugements rendus par les Aga. En 1874, certains Orungu ont couronné un commerçant allemand sur le delta de l’Ogooué sous le nom d’Oga. Deux décennies plus tard, les clans nkomi désignèrent le fonctionnaire colonial français Auguste Forêt comme Makaga, puis créèrent de nouveaux titres vaguement définis de renima pour la missionnaire catholique Marie-George Bichet et ozunge (le sauveur) pour le confrère de Bichet. Finalement, certains chefs de clans nkomi et orungu ont élu le chercheur scientifique américain Robert Lynch Garner (un fugitif de la guerre civile américaine) comme leader entre 1905 et 1918. Le géographe et aventurier allemand Oskar Lenz est passé par l’Ogooué à plusieurs reprises entre 1874 et 1876 et décrit comment un compatriote allemand travaillant pour l’entreprise Woermann (initiatrice de l’exploitation du bois au Gabon) est devenu un chef orungu. Son cas est le seul typique de ce genre de couronnement. Les clans orungu étaient de plus en plus fracturés sous les fourches caudines du déclin de l’autorité centrale vers les années 1860. Il est donc probable que le couronnement n’ait été soutenu seulement que par une minorité d’Orungu. En 1873, quatre chefs différents avaient signé des traités avec les autorités françaises et aucun Oga n’avait beaucoup d’espoir de prétendre être le leader orungu incontestable. Même si cette désignation n’a pas apporté de changements radicaux à la société locale. Il n’en reste pas moins que cet avènement démontre à quel point des clans côtiers gwèmyènè ont tenté d’incorporer des Européens dans leurs modes de gouvernement. La décision de certains Orungu d’introniser un marchand allemand est intervenue après la mort du chef orungu Rengua en 1874 et la série d’événements qui ont conduit au couronnement reflétait les crises que le déclin des exportations d’esclaves et l’expansion commerciale européenne qui a frappé ces chefs côtiers gabonais. Les Allemands travaillant pour Woermann ont à peine regretté la mort de Rengua. D’autant moins qu’ils le détestaient en raison de son goût prononcé pour le rhum. Et surtout pour ses efforts entravant leur accès aux marchés intérieurs en amont du fleuve Ogooué. Ses funérailles reflétaient également le poids récurrent de l’esclavage domestique dans les sociétés locales. Trois esclaves ont été tués sur les ordres d’un devin (nganga) qui prétendait avoir ôté la vie à Rengua. Sur la côte, au sein des communautés d’Omyènè au milieu du XIXè siècle, des Mpongwè aux Nkomi, les exécutions d’esclaves suivaient invariablement la mort d’un Oga étaient coutumières. Les hommes libres accusaient les esclaves d’utiliser des moyens mystiques pour éliminer des gens libres comme révolte sociale ». Il en fut de même dans le quartier Glass (synonyme du Gabon jusqu’en 1867) qui connut les mêmes phénomènes d’inversion de rôles et de l’usage par les locaux de la diversité des rivalités entre Occidentaux afin de faire pression sur les Français.
En effet, « le quartier Glass, à Libreville, petite ville de deux mille habitants, était le centre administratif et commercial ainsi que des intérêts politiques et économiques français et européens depuis 1842. Hubbe-Schleiden eut des problèmes à peine installé. Une foule d’hommes mpongwè rassemblés près de son domicile se sont disputés les uns avec les autres pour revendiquer une parenté avec lui. De fait, Hubbe-Schleiden était locataire du fils du chef du clan Agakaza. Aussi, le jeune homme a affirmé que l’invité allemand appartenait au clan Agakaza. Cependant, un jeune homme, nommé Ovendo, du clan Agesso, prétendait être parent de Hubbe-Schleiden. L’hôte de Schleiden, « selon les coutumes strictes du pays [le clan Agakaza], avait le véritable droit en tant que [patron], mais je n’avais absolument aucune idée à l’époque de l’existence d’un tel droit. Hubbe-Schleiden préféra Ovendo aux revendications des Agakaza. En faisant quelques cadeaux, Hubbe-Schleiden a convaincu ses anciens hôtes de permettre à Ovendo de devenir son patron. Il a décrit sa relation de la manière suivante : « [le patron mpongwè] traite un [blanc homme] comme son propre animal de compagnie ». Ces cas d’assimilation des élites mettent en exergue la consubstantialité du pouvoir moderne et traditionnel. Ces logiques prédatrices et clientélistes ont jeté les bases historiques des dérivations post-coloniales. Ces pesanteurs persistent et continuent d’obérer le Gabon de nos jours.
En somme, une vraie confusion et un carnaval anthropologique dans le sens de l’inversion des rôles ! A propos des Fang, il se trouve que l’historiographie post-coloniale a tout simplement repris la confusion entre ce qu’on appelait le Gabon au XIXè siècle (jusqu’en 1860), autrement dit Libreville, et le territoire national que nous connaissons aujourd’hui.
En effet, les Fang ont été signalés dans l’Estuaire vers 1840-43, d’abord, par les Sékiani (ou les Boulou comme les appellent les Mpongwè qui les traitaient de cannibales), puis par le révérend Américain Benjamin Griswold (mentor de Paul Du Chaillu qui lui apprit l’anglais), missionnaire au Libéria, puis au Gabon. Il fit partie de la promotion de l’université de Dartmouth de 1837 dans le New-Hampshire aux Etats-Unis. Il fréquenta le séminaire théologique d’Andover entre 1838 et 1839 et sortit de la promotion de 1841 à la Divinity School de l’université de Yale. Il étudia la médecine dans la même université. Ordonné pasteur le 2 septembre 1841 à Randolph, dans le Vermont (Etats-Unis), il arriva au Gabon (Libreville) en provenance du Liberia en 1842. C’est en Afrique qu’il épousa Mary Hard Castle Wilson, veuve du missionnaire Alexander Erwin Wilson.
Le révérend Griswold, né en 1811 dans le Vermont, est mort au Gabon en 1844, à 32 ans, de paludisme. D’après les mémoires du révérend John Leighton Wilson D. D., « les exercices funéraires [du révérend Griswold] ont été suivis par l’une des assemblées les plus grandes et les plus sérieuses que j’ai jamais connues au Gabon ». Benjamin Griswold est très important pour l’historiographie gabonaise, car il fut le premier religieux blanc pénétrant la côte gabonaise. Et surtout le premier Occidental à fréquenter les Fang. De fait, dans sa correspondance de 1943, il signale leur présence dans la région de Libreville. Et, selon lui, de tous les groupes gabonais (entendez Libreville) qu’il avait rencontrés, les Fang étaient les seuls qui n’avaient pas peur des Blancs. Au contraire, ils les accueillaient et s’en rapprochaient au motif que ces hommes aux longs nez et aux yeux d’oiseaux seraient leurs ancêtres revenus (bekoun -les fantômes). En effet, en fang le Blanc se définit par son nez long et non sa couleur. Dans ces civilisations, la couleur de peau ne détermine pas la valeur des hommes. En fang on ne dit pas Ntanghan (appellation récente) pour désigner un Occidental, mais « okoko-dzu », autrement dit ceux ayant un long nez. Aux dires de Griswold, ils ont eu du mal à évangéliser les Fang réticents au récit christique, car ils étaient les seuls à avoir leur propre vision du monde. Leurs spiritualités leur suffisaient. Et l’on ne rappellera jamais assez que le mot Nzame (Dieu) n’existe dans la langue fang que depuis 1889.
Emane-Tôle guerrier fang et non héros national
Emane-Tôle, né vers 1846 à Nseghe, dans la région de Ndjolé, mort en 1914 à Grand-Bassam, en Côte d’Ivoire, est une icône post-coloniale. Rien que sa date de naissance confirme bien que les Fang ne sont pas arrivés au Gabon au XIXè siècle, car il est bien né dans la vallée de l’Ogooué, au centre du Gabon. Mais cela dit, ce n’était pas un héros national. En réalité, il se battait pour ses positions et ambitions matérielles et non pour une nation gabonaise qui n’existait pas encore de son temps. Il en est de même du capitaine Charles Ntchoréré (15 novembre 1896 – 7 juin 1940) vénéré par les Gabonais alors qu’il est mort non pas pour la libération du Gabon, mais pour la France qui était la patrie dont il avait la nationalité.
En réalité, contrairement au sens commun, la nation précède le nationalisme et non l’inverse. Le nationalisme est donc une idéologie qui mythifie la Nation. Et je reviendrai dans ces colonnes sur la différence entre le nationisme (créer une nation que je défends) et le nationalisme qui est l’idéologie mythifiant la nation qui est une institution imaginaire ; autrement dit « la communauté idéalisée des gens qui ressentent un sentiment donné de nationalité et le peuple n’est rien d’autre que la population de la nation ». Et même si nous en sommes bien loin du compte, je postule, néanmoins, que le Gabon est l’un des rares pays africains qui pourrait devenir un Etat-Nation. Et sur les trajectoires africaines il n’y a (selon moi) que six pays qui vont s’en sortir : Gabon, Botswana, Ile-Maurice, Seychelles, Cap-Vert et Namibie.
Pour l’instant, le Gabon demeure un Etat territorial où le vivre ensemble moderne n’a toujours pas défini ses ressorts historiques. Autrement dit, quelles sont les valeurs communes qui permettent de tenir ensemble ? Cela explique la quête éperdue de héros historiques. De fait, les liens de sang (verticaux) l’emportent toujours sur les liens de raison (horizontaux). Ce passage suppose une mutation anthropologique. L’histoire et le hasard géographique ont précipité des gens qui n’avaient rien en commun dans un univers où ils sont perdus. Même s’ils répètent ad nauseam les poncifs de la légalité internationale sur fond de logomachie occidentale, ils ignorent d’où ils viennent et ne savent pas ce qu’ils font ensemble, encore moins où ils vont.
Les jeunes Gabonais, victimes de l’institutionnalisation de l’ignorance depuis 56 ans, doivent apprendre l’histoire réelle et non fictionnelle de leur pays. Autrement dit, la contextualisation et l’administration de la preuve afin de ne pas succomber à la tentation de l’anachronisme. Le destin d’Emane-Tôle est cruel mais il doit être resitué dans son contexte historique. Ce faisant, il convient de faire la différence entre l’histoire, autrement dit « Madame H », et les histoires (ou racontars) que les uns et les autres se partagent dans les bars et autres réseaux sociaux et qui entretiennent la confusion historiographique.
Ce texte de François Meye sur Emane-Tôle méritait d’être connu. Et on ne rappellera jamais assez qu’« on n’écrit pas l’histoire sur la base d’informations fantaisistes ou celle d’imagination fertile. Il faut respecter l’autorité de la vérité. La mémoire est une obligation morale et historique. Le témoin qui écrit ne doit pas avoir d’état d’âme. La complaisance et l’acrimonie doivent être bannies de son esprit » comme dirait Emmanuel Ekomi-Mbene qui n’était pas historien, mais son propos est pertinent.
L’auteur du texte ci-dessous, François Meye, est né dans la zone de Ndjolé le 22 février 1922. Élève brillant qui, après des études primaires dans les écoles de la mission protestante française de l’Ogooué, alla poursuivre ses études secondaires à Brazzaville, alors capitale de l’AEF (15 janvier 1910 – septembre1958). Il nous a été raconté dans notre jeunesse qu’on leur avait proposé à l’école primaire un sujet de rédaction : « Décrivez Paris ! ». Avisé, il avait tout simplement écrit dans sa copie : « Paris ? Jamais vu ! ». Il la rendit immédiatement au maître au grand dam de ses condisciples, lesquels tentaient vainement d’imaginer une ville qu’ils ne connaissaient pas. Il eut la meilleure note, car, en effet, nul ne saurait décrire un endroit sans y avoir été. Un signe de son intelligence.
Le Moyen-Ogooué fut le quartier latin du Gabon
François Meye est ensuite brillamment admis à l’Ecole supérieure Edouard-Renard de Brazzaville d’où il sortit major de sa promotion, section normale (1937-1940). Aussi, alors qu’il devait passer le concours de l’Ecole normale supérieure (ULM) en France, il décida de s’occuper de sa famille au lieu de partir pour Paris. Il entama ainsi une brillante carrière d’instituteur qu’il commença au Congo-Brazzaville où il fut successivement directeur d’école à Dolisie et à Brazzaville. Puis, revenu au Gabon, il devint chef de secteur scolaire dans le Woleu-Ntem (Gabon). Ensuite, comme beaucoup d’enseignants gabonais, il entra en politique. Il fut ainsi porté à l’Assemblée territoriale du Gabon par les électeurs du Moyen-Ogooué à la tête de la liste indépendante sous le sigle « Défense des intérêts gabonais ». La liste fut une lame de fond politique dans la province du Moyen-Ogooué aux élections de l’Assemblée territoriale de 1957. Il remporta les trois sièges de la région. Il s’inscrivit au parti UDSG de Jean Hilaire Aubame à partir d’octobre 1957 et devint président de ce groupe à l’assemblée. François Meye m’Ecoure a rejoint la coalition du Bloc démocratique gabonais (BDG, ancêtre du PDG 1953-1968) qui a pu ainsi former un gouvernement. Il devint ainsi ministre des Finances (avec comme chauffeur le journaliste écrivain français feu Pierre Péan) au gouvernement de la République gabonaise le 9 novembre 1960. Réélu sur la liste de l’Union nationale le 12 février 1961, il est confirmé dans les fonctions de ministre des Finances de la République gabonaise dans le gouvernement formé par décret du 21 février 1961. Cela dit, il refusa de suivre Jean Hilaire Aubame et resta fidèle à Léon Mba du BDG tout comme Jean Marc Ekoh, lui aussi ancien de l’UDSG.
François Meye, qui mourut le 5 novembre 1970 à Libreville (48 ans), était diplômé de l’Ecole des cadres de Brazzaville et titulaire du baccalauréat de l’enseignement secondaire (premier bachelier du territoire).
Le texte ci-dessous n’a pas été modifié, mais retranscrit authentiquement.
Emane- Tôle, dernier guerrier fang
Notes d’histoire du Gabon de François Meye-m’Ecoure (1922 – 5 novembre 1970)
Le souvenir du dernier guerrier fang Emane- Tôle, de la tribu Ebimengung ou Esamekep, est resté très vivace dans le district de Ndjolé. Un autre guerrier de la même époque s’appelait Obame-Olele de la tribu des Essivôés. Emane- Tôle n’était pas chef des Fang de Ndjolé, mais un guerrier isolé suivi seulement par quelques jeunes gens de sa tribu. Il s’était fait remarquer par son audace. On l’avait surnommé Assang-Mefa (celui qui frappe à coups de coupe-coupe). L’histoire se passe vers 1900. A cette époque, plusieurs tribus fang, descendues du nord et du nord-est par l’Ivindo, l’Okano et l’Abanga, s’étaient regroupées à Ndjolé autour des maisons de commerce et du centre administratif. Ces tribus se faisaient la guerre les unes les autres et risquaient par leurs instincts belliqueux de gêner la pénétration française dans le haut-pays. Les Fang échangeaient du caoutchouc, de l’ébène et de l’Ivoire contre les fusils et les poudres de traite, des tissus, des outils, des ustensiles de ménage et des marchandises importées d’Europe.
Plusieurs guerriers eurent la prétention de vouloir empêcher les commerçants européens d’aller vers le haut-fleuve ; au-delà de Ndjolé. Ils voulaient que le commerce entre les Blancs et les populations se fît par leur intermédiaire. Emane- Tôle et ses guerriers prirent la tête de ce mouvement et commencèrent à rançonner les convois de pirogues. Emane- Tôle et les hommes de sa tribu habitaient alors en amont d’Alembe, dans la région des savanes qui bordent l’Ogooué après le confluent de l’Okano, à l’ancien village d’Ebaghé-Nzok. Excédée par les actions d’Emane- Tôle et de ses hommes, l’autorité militaire envoya un détachement de tirailleurs sénégalais, sous la conduite du soldat Bakary, à la poursuite du guerrier avec ordre de l’amener vif ou mort. Mais le sergent Bakary fut tué, les tirailleurs, pris de panique, revinrent à Ndjolé. C’est alors qu’Emane- Tôle alla se réfugier chez les parents de son épouse préférée, Elène, qui était de la tribu des Enssinzui. Mais sa tête était mise à prix. Bientôt des traîtres, avides de marchandises, surprirent le héros dans sa retraite et, avec la complicité de ses beaux-parents, s’emparèrent de sa personne et vinrent le livrer aux Blancs qui n’en croyaient pas leurs yeux.
Emane- Tôle fut déporté à Grand-Bassam en 1904. Il n’avait eu qu’un seul compagnon d’exil, son fils Tôle –Emane. La belle Elène avait refusé d’accompagner son mari. A la mort de son père vers 1914, Tôle -Emane revint à Ndjolé. Par prudence, il réunit les hommes de son clan restés fidèles à la mémoire de son père et alla fonder le village Mvam-Zaman dans la rivière Ezanga en aval de Lambaréné.
François Meye