Les régimes politiques ne se forment pas ex nihilo. Ils sont souvent l’émanation du maillage historico-anthropologique. Ainsi donc le reflet des pratiques sociales. Les logiques externes ont le plus souvent été mises en exergue. Les théories dépendentistes enfermant les sociétés africaines dans le lit du procuste colonial ou de l’impérialisme. Aussi le moment colonial devient indépassable. Reprenant à souhait le mythe d’un tout imaginaire.
En conséquence, l’historicité des sociétés africaines est reléguée au rang d’objet et autres manipulations extérieures. L’Occident, prétexte de toutes les inerties, est devenu un coupable idéal. Les êtres humains, pourtant sujets de leur histoire, deviennent ainsi des « Noirs » « africains » et autres ressortissants du « tiers-monde ». La stratification sociale se dissout dans l’anti-colonialisme. Autrement dit, un boy travaillant pour un grand type, donc un dominé, est aussi noir et dominé que son patron.
Ce mythe unitaire brouille les pistes et impacte l’action publique au Gabon depuis 60 ans. Nous ne sommes tous que des victimes expiatoires des jeux impérialistes. Les pseudo intellectuels post-coloniaux n’ont cessé de rabâcher cette antienne depuis 60 ans. Tous victimes égales, mais victimes de qui ? Il est ainsi entendu que la France est la cause de tous les malheurs. La vérification empirique permet d’invalider cette affirmation gratuite sexagénaire. Les sociétés africaines n’ont donc pas de capacité d’agir. Aussi, s’il est un pays africain post-colonial qui s’en est sorti, ce fut le Gabon. Sa forte croissance post-coloniale en témoigne. Mais ses élites inefficaces ont coulé le pays et se défaussent sur la France pour masquer leur incompétence, car toutes leurs actions consistent à compliquer le quotidien des Gabonais. La plupart des décisions prises par le régime Bongo-Valentin-PDG assaillent les Gabonais.
L’avant-gardisme anti-occidental est une vaste escroquerie
Depuis que les Français sont partis, la gabonisation a été un désastre dans tous les secteurs. Une ville comme Libreville est peuplée de gens qui n’ont rien à y faire. Les services publics sont débordés. La demande a augmenté, mais l’offre a stagné. Le rationnement de l’eau et de l’électricité en témoigne. Ces nouveaux citadins ont abandonné leurs terroirs à la quête d’un illusoire poste budgétaire. Aussi peut-on se demander sur quoi repose une identité gabonaise ? Force est de constater qu’elle n’existe pas. Construire une République suppose un substrat. Il est difficile de nommer le substrat gabonais. Sur quoi repose notre communauté politique ? Et pourtant, Il n’y a pas un pays africain qui a gagné autant d’argent que le Gabon depuis 60 ans. Toutes les comparaisons internationales le confirment.
Une étude récente de la Banque mondiale révèle que le Gabon est l’un des quatre pays africains, sur 54 (Tunisie, Algérie, Ile-Maurice), dont le retour des gains de l’économie mondiale les situe au-dessus du revenu médian mondial. Ces données mondiales objectives confirment que l’obstacle au Gabon n’est ni économique ni culturel, mais politique.
De fait, le pays n’a jamais connu de rupture de croissance depuis 60 ans comme cela a été fréquent dans les autres pays africains. Pourtant, malgré ces atouts, le Gabon patine. C’est ainsi, curieusement, que le Journal officiel de la République gabonaise vient de publier une nouvelle disposition gouvernementale statuant sur une taxe sur les retraits bancaires pour les sommes à partir de 5 000 000 de Fcfa. Une ponction qui témoigne de la kleptomanie d’un régime finissant à court de sous. Cette décision absurde, qui défie tout raisonnement économique, mérite un regard froid.
Le Gabon est l’un des deux pays africains (avec l’Afrique du Sud) familiers du salariat sur la longue durée. Aussi, chaque Gabonais exerçant un travail espère toucher un salaire à date fixe. Ce qui explique en partie la réticence des Gabonais à se « lancer dans les affaires ». L’incertitude y est trop grande. Surtout dans une société poussée au jouir par un régime prodigue. La patience ici est un vice, car il faut de la visibilité sociale. Donc aller vite pour impressionner la galerie. Le hic c’est que tous ces frimeurs publics utilisent l’argent du contribuable, donc l’argent d’autrui. Ce qui est illégal. Mais dans nos contrées, le contrat social ne repose sur rien. La pathologie sociale devient une vertu. Si vous êtes un parent ou un larbin de la famille chancelante, voire de la région, vous êtes au-dessus des lois. Une véritable société de saufs-conduits.
En réalité, chaque salarié appartient à une échelle de revenus (privé) ou un indice (public) déterminant son pouvoir d’achat par rapport au coût de la vie. Ces salaires gabonais sont certes faibles, car il y a un vrai problème de péréquation et surtout d’allocations des ressources, mais comparés aux autres situations africaines, ils sont élevés. Le salarié a donc droit à un salaire brut auquel sont pondérés des prélèvements obligatoires. Autrement dit, les retenues sur salaires. Certains de ces prélèvements sont des revenus différés. C’est le cas des retraites qui sont un revenu que l’on retire sur votre fiche de paie pour financer les retraites des inactifs. C’est ce que l’on appelle la solidarité entre les générations. Les actifs travaillent donc pour les inactifs. Mais, compte tenu des structures sociales et institutionnelles locales, la péréquation n’est pas limpide. Les retraités ont du mal à toucher leurs pensions, car l’argent public est détourné. Cela revient au fait que lorsque vous vous êtes acquittés de vos obligations et ajouté certains postes ou prestations sociales comme les allocations familiales et autres indemnités, ce qui vous reste c’est votre revenu disponible primaire, car quand vous achetez des biens, souvent importés, vous payez ainsi des taxes indirectes. Ce qui détermine votre niveau vie.
Au Gabon des ignares sont millionnaires
Moins parce qu’ils ont des qualités exceptionnelles que parce qu’ils ont des relations exceptionnelles. Aussi le simple fait d’être un parent ou un proche de la famille au pouvoir vaut salaire versé par l’Etat ou des entreprises publiques et autres administrations centrales. Dès lors, vous avez payé les prélèvements obligatoires, puis les taxes indirectes à la consommation doublés de la ponction communautaire, c’est-à-dire les aides à la famille que la logique économiciste ne perçoit pas. Avec cette nouvelle disposition vous devez payer en sus une taxe de retrait bancaire. C’est de l’arnaque pure et simple. Votre revenu disponible subit ainsi un prélèvement obligatoire en amont et un prélèvement obligatoire en aval.
En principe, celui qui paie doit recevoir des biens publics en retour, demander donc des comptes. Et pourtant, il suffit d’ouvrir les yeux pour se rendre compte que les biens publics gabonais sont en panne, tous déglingués. Tout le pays est devenu un éléphant blanc. En somme, l’Etat a disjoncté depuis le milieu des années 80. La grande régression n’a pas fini d’achever les Gabonais. La « rigueur » financière martelée par le régime à coup de « task force » n’est que du foutage de gueule. S’il faut bien payer, mais pour qui ? Et pour quels services publics ?
En vérité les cigales du régime ont tout volé
Des sommes incommensurables. Car ici une famille possède un pays et elle pille le Gabon avec un appétit d’ogre. Ils contrôlent tout : éducation, santé, immobilier privé loué à l’Etat, foncier urbain et rural, toutes les forêts, les morgues, les pharmacies, l’hôtellerie, le commerce de gros et détail, finance et assurance. Mais désormais sans le sous, car ayant dépensé sans compter tant ils vivent au jour le jour. Par ailleurs, ils ont perdu leur crédibilité financière internationale. Ils se voient contraints de vider tous les petits revenus des Gabonais au centime près.
Pourtant, les responsables des prévarications sont connus. Aussi, au lieu de ponctionner les Gabonais, la famille Bongo et leurs alliés feraient mieux de ramener l’argent qu’ils ont détourné depuis 54 ans, car aucun Gabonais n’a siphonné le Gabon comme ils le font. Cela explique pourquoi ils s’accrochent au pouvoir et veulent enfermer le Gabon sous le mode dynastique. L’ironie de l’histoire c’est qu’ils parlent de détournement, mais, à ce jour, personne n’a été jugé pour ces faits. Du moins si, car, Ismaël Ondias Souna avait été reconnu coupable de détournement de deniers publics. L’ancien patron de la Société équatoriale des mines (Sem) s’était mis la bagatelle de 600 millions dans les poches. L’homme, qui a été jugé par la Cour criminelle spéciale, s’en est joyeusement tiré avec une peine de dix ans de réclusion criminelle avec sursis. Il devra, en outre, payer au trésor public, une amende de 100 millions. Une vraie blague. Les Gabonais subissent toutes ces vilenies résignés. Le pire c’est que tous ceux qui sont chargés de vérifier le circuit de l’argent public sont eux-mêmes les principaux prévaricateurs. Il y a comme un chant du cygne. La vérité est nue.
Après avoir raclé l’assistance financière internationale, le régime est coincé. La situation du Gabon est paradoxale, car c’est un pays à capacité financière, mais appauvri par son élite. Il est devenu un Etat mendiant réduit à faire la manche aussi bien au niveau international qu’au niveau national. Le rêve de l’émergence en 2025 s’est heurté au mur des réalités. Ce qu’une élite a fait peut être défait par une autre. Il incombe aux Gabonais, et à eux seuls, de trouver l’alternative. Aucune situation historique n’est irréversible. Le Gabon sera ce que les Gabonais en feront. Il faut construire de nouvelles coalitions susceptibles de sortir le pays des 55 piteuses années du bongoïsme.
A chacun son histoire.
Aristide Mba