Mercredi 16 mai dernier, la salle de licence 3 du département des littératures africaine de l’Université Omar Bongo a prêté son cadre à la présentation de l’œuvre poétique Rêve mortel du jeune écrivain originaire de Malinga, Benicien Bouschedy. Une œuvre d’une rare violence lexicale et d’une cruauté verbale inexpérimentée dans la poésie gabonaise. Elle pointe du doigt les dictatures africaines, la mal gouvernance, la clochardisation des consciences, la corruption de l’Etat, et surtout, présente l’Afrique comme cette terre sans horizon du fait de ses dirigeants compétents à travers des crimes de tout genre qui obstruent les rêves de la jeunesse.
En présence de plusieurs universitaires, des étudiants amoureux des lettres et d’un lectorat admirablement bouillonnant de textes engagés, l’œuvre du jeune poète gabonais a été présentée au public par l’enseignant chercheur Franck Wolfgang Moundziegou Mombo en présence de l’auteur. En effet, « Rêve mortel » est ce long poème truffé de plaintes, de douleurs, d’angoisses, de sang, d’odeurs, de couleurs, de cris, de faims et de soifs qui dégage la possibilité des libertés bâillonnées, des espérances tues, des projets d’échec concoctés à périr par les « cancres politicides des Républiques-démocratico-mercenaires » qui grouillent et grénouillent en Afrique sans être inquiétés.
Pour l’enseignant qui a critiqué cette œuvre, « Rêve mortel » se présente aujourd’hui comme une œuvre accomplie de la poésie gabonaise. La richesse thématique développée, le style et l’abondance stylistique employés ainsi que la richesse du vocabulaire sont autant d’atouts qui constituent la particularité de l’écriture de ce jeune auteur. Ce livre met à nu les carences socio-politiques du continent africain à partir des réalités de la subjectivité de son auteur qui expose le malaise de la vie quotidienne comme un tableau obscur, une peinture nauséabonde composée de cris et de sang. C’est une Afrique à califourchon sur elle-même, pour reprendre le poète. Autant il tire à boulets rouges sur les détenteurs des pouvoirs qui sont censés améliorer les conditions de vie des générations, autant il convie la jeunesse à la responsabilité. Ce poème, à mon sens, mérite d’être lu par toutes les classes sociales. Il mérite surtout d’être compris par tous », a déclaré Franck Wolfgang Moundziegou Mombo.
Dans un jeu de questions-réponses entre l’assistance et l’auteur, la discussion intellectuelle à cette occasion était vive. En témoigne l’intervention de l’un des doyens des enseignants-chercheurs, précurseur du mouvement de la Cafritude, Magloire Bigmann Ambourhouet, pour qui le jeune poète paraît comme porteur de souffle à la poésie gabonaise longtemps critiquée pour l’épaisseur de ses thèmes et même sa légèreté :
« Vous ne pourrez plus avoir le même comportement après avoir lu Rêve mortel. Il en est d’ailleurs de même de la précédente œuvre Silences de la contestation du même auteur. La poésie de jeune homme est une force de proposition décidée à bouleverser les codes, violer les tabous pour s’affranchir des jugements hypocrites qu’on croise chez certains auteurs. Ce long poème est comme un billet pour le salut de la jeunesse africaine et même mondiale. Il postule pour une mondialisation objective de laquelle l’authenticité des savoirs participe à la fierté des identités des nations. Et il le dit clairement, Benicien Bouschedy, à la page 21 : « celui qui marche à l’ombre des plus grands devient l’ombre des plus petits ». Il faut donc que l’Afrique se lève, que ses dirigeants réalisent ce qui fait la force et la puissance des Etats. On en parlera toute la journée s’il le faut. Voyez-vous, c’est un livre riche que nous propose ce jeune poète qui mérite d’être soutenu et dont l’œuvre invite à comprendre la profondeur de l’âme. Si seulement il était hors de ce pays… », a regretté l’universitaire qui serait, selon ses propres dires, en train de travailler sur une nouvelle anthologie de la littérature gabonaise.
Au moment où la critique universitaire s’intéresse à une nouvelle forme de littérature africaine à partir des réalités contemporaines, il va sans dire que l’œuvre du jeune prodige de Malinga répond parfaitement aux exigences. Au moment où les dictateurs brisent les rêves de ceux qui ne participent pas aux cultes de leurs personnalités, exilent les hommes d’opinion et s’illustrent par des enlèvements illicites, des emprisonnements arbitraires, la politique du meurtre, le livre de Benicien Bouschedy apparaît comme une voix de lutte pour l’espérance du continent et, partant, du Gabon.
Toute chose que le jeune poète a librement expliquée à son auditoire : « Nous héritons des rêves de nos parents. Nos enfants hériteront demain de nos rêves. Mais quels rêves ? Quelle est notre satisfaction quand on vit dans un pays qui nous vole jusqu’à notre moindre projet et le rend impossible ? Que rêviez-vous tout jeune de faire et qu’êtes-vous aujourd’hui devenus ? Il y a autant de questions que je me pose quand je regarde la jeunesse gabonaise autour de moi. Je me pose moult questions quand je regarde le genre de dirigeants qui décident en notre nom, leurs projets et leurs actions et surtout ce qu’ils ont réussi à faire de nous. Ils nous laissent une terre en soins intensifs. Ils militent à nous corrompre, à faire de nous des petits zombies quand leurs enfants s’entraînent à la dictature. Et dans ce cas, quel genre de rêve voulez-vous qu’on fasse si ce n’est celui de la mort ? Mais loin d’être apôtre de la fatalité, il faut inviter la jeunesse gabonaise en particulier et mondiale en général à la responsabilité, à la protestation. Nos vies ne sont pas à vendre. Nos rêves ne sont pas à détourner. Nos destins ne sont pas programmés à l’échec. Nous ne sommes pas condamnés à la clochardisation politique. Il n’en est pas question. Il y a tant de questions et de réponses dans ce livre que j’invite chacun à le lire sans modération », nous a confié Benicien Bouschedy.
Au Gabon, le livre est désormais disponible à Géant Ck2, à la librairie universitaire et sur les sites de vente en ligne (Amazon et Fnac), à défaut de contacter l’auteur pour plus d’informations.