Nommée le 16 juillet dernier comme Première ministre, Rose Christiane Ossouka Raponda va visiblement au-devant des palabres. Face à une crise multiforme qui date de 2016, notamment la crise politique, vient se greffer la crise du Covid-19, sans oublier la capacité d’Ali Bongo Ondimba à continuer à présider aux destinées du Gabon…
Au Gabon, le problème n’est ni le Premier ministre, encore moins les ministres, mais celui de savoir si le système politique et économique qui gouverne est pertinent. S’il ne l’est pas, ou on libère les énergies ou on élabore des politiques publiques pour résoudre les problèmes auxquels les Gabonais sont confrontés.
Ce n’est pas faire injure au régime que de dire qu’actuellement le rôle du Premier ministre, des membres du gouvernement et même des directeurs généraux des administrations centrales et sociétés d’Etat, est inefficace parce que le système actuel est prédateur et kleptomane. C’est un système où, sur le plan de la gestion politique et économique, tout est centralisé depuis le palais. Quel est ce pays que l’on peut gouverner en centralisant tout à la présidence de la République ?
C’est également, un système prédateur sur le plan économique et financier. Autrement dit, ils prennent tout ce qui tombe. Ils ne partagent pas le système politique, économique et financier. Par conséquent, on va vers une sécheresse qui fait que le régime n’intervient par l’argent que pour corrompre et non pour partager comme à l’époque d’Omar. La dernière illustration étant la corruption à haute dose du Parlement pour le vote du nouveau code pénal avec la dépénalisation de l’homosexualité. Des indiscrétions disent que chaque parlementaire aurait palpé 50 patates. Mais, en temps normal, ce régime reste insensible à la douleur du peuple. Le partage reste pourtant la clé de la politique. Il faut qu’en temps normal les gens soient dans un cadre de vivre ensemble, en capacité de partager aussi bien les malheurs que le bonheur. Pour le clan Ali Bongo, le bonheur, c’est pour eux, le malheur pour le peuple… Voilà qui a plombé l’action des anciens gouvernements et nous craignons que le gouvernement Rose Christiane Ossouka Raponda ne fasse pas exception.
Question lancinante qui se pose au Premier ministre : d’où tire-t-elle son pouvoir lorsqu’on sait que l’existence même de ce pouvoir est contestée aussi bien sur le plan local par « Appel à agir » que par la Communauté internationale si l’on en juge par la prise de position de certains députés en France, puissance coloniale ? Peut-on vous faire confiance alors que vous risquez d’être juge et partie sur cette question ? Bonne chance, Madame la PM si vous arrivez à solder cette question.
Deuxième problème, c’est sur l’urgence de la relance économique, la pauvreté, la précarité sociale, le chômage et tout ce qui concerne l’Homme, tout l’Homme…Des problèmes que la crise sanitaire est venue amplifier au grand jour. Tout le monde a vu les hésitations, l’amateurisme, avec un confinement qui n’a pas été efficace, du moins dans la durée, poussant le gouvernement à faire marche-arrière en raison des réalités économiques et sociales. Il reste à Madame le PM de dire aux Gabonais quelles sont les mesures sociales qu’elle entend impulser sur le chômage, la précarité sociale et la pauvreté. En se disant que Rose Christiane Ossouka ira jusqu’au terme du mandat d’Ali Bongo, il reste, au bas mot, 900 jours d’exercice à la primature. Comment compte-t-elle financer la relance économique ?
Sur le plan des services de base, nous avons l’éducation nationale qui reste une plaie béante pour le régime actuel. En dix ans, les différents gouvernements d’Ali Bongo n’ont sorti aucune salle de classe de terre, encore moins formeé ou recruté des enseignants. Fait curieux, avant de quitter le ministère de la Défense, Rose Christiane Ossouka a tout de même lancé un recrutement au sein de la GR. Est-ce à dire qu’au Gabon les armes sont au-dessus de la formation des intelligences et de la jeunesse qui est l’avenir du Gabon de demain ? En même temps qu’on nous dit que la fonction publique ne peut plus recruter des enseignants et des médecins, on recrute et on finance la répression. Rien à cirer avec la crise de l’éducation et la crise hospitalière.
Quelles sont les urgences dans un océan de priorités ?
Si tout le monde est d’accord pour dire qu’il ne se pose pas un problème de Premier ministre au Gabon et que la question de la mal gouvernance se trouve ailleurs, il faut dire que si Ossouka veut durer à la primature jusqu’en 2023, il lui faut définir les urgences en matière d’emploi, d’éducation, de santé, de logement, de route et même de technologie. Après avoir défini ces urgences, elle doit dire aux Gabonais comment elle compte les financer. Aujourd’hui, dès que l’argent tombe, ça va dans les salaires et la dette. Et dans les miettes qui restent, les détournements et la corruption se pointent…
Nous adressons nos félicitations à Rose Christiane Ossouka Raponda, pour sa nomination à la primature, avec l’idée qu’elle prendra son courage pour affronter les problèmes auxquels sont confrontés les Gabonais au quotidien. Le peuple attend d’elle qu’elle s’attaque à la pauvreté, à la précarité sociale, au logement, à l’accès de tous à l’eau et à l’électricité, à la santé et, surtout, à l’éducation, car c’est à un véritable crime, pour ne pas dire un génocide culturel, auquel nous assistons en ce moment face à la mort de l’éducation par l’actuel régime. Face à une année pourtant blanche, le régime refuse de le dire pour, malheureusement, la bricoler.
Inutile de passer à l’Assemblée nationale pour nous révéler un catalogue d’intentions comme vos prédécesseurs. Nous espérons que votre passage à l’Assemblée nationale, puisqu’on vous prête des qualités de technicienne et de grande économiste, devrait être un étalage de vos urgences avec les financements qui vont avec à l’appui. Autrement dit, moyens et financements. En clair, il ne suffira pas de dire ça va coûter tant, mais aussi dire et expliquer d’où viendra l’argent. On nous a dit que Nkoghe Bekale a été viré parce qu’il fallait un économiste à sa place. Vous êtes donc la personne de la situation si l’on s’en tient à ce que dit le palais. Alors, à l’ouvrage !
Mais n’oubliez pas le volet politique de votre mandat. Les Gabonais se posent la question de savoir si Rose Christiane Ossouka a ou aura les moyens d’affronter les problèmes que rencontrent les Gabonais. Et le premier de ces problèmes est la crise politique. Depuis 18 mois, la communauté nationale et internationale se pose la question de savoir si Ali Bongo, affaibli, par la maladie, est en capacité ou non de gouverner le pays. Quelle sera sa marge de manœuvre pour expliquer urbi et orbi que le chef de l’Etat est en capacité de présider lui-même le pays et non par procuration ? En son temps, la Cour constitutionnelle est venue jouer les pompiers en balayant la vacance d’un revers de la main pour parler d’« indisponibilité temporaire ». Rose Christiane Ossouka doit savoir que c’est de la réponse à cette question que dépendra l’activation de l’article 13 ou pas de la Constitution. En sa qualité de Premier ministre d’Ali Bongo, Rose Christiane Ossouka peut-elle être juge et partie ? Ces questions restent ouvertes.