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Chronique politique de Beauty Nana BAKITA MOUSSAVOU/Transition gabonaise : Le syndrome d’hubris

Les partis politiques CDJ, PGP, PSE, URDP et 7MP, regroupés au sein de la Coalition pour la nouvelle République (CNR), ont inauguré leur rentrée politique de manière tonitruante, le 2 mars 2024 dernier, à la Chambre de commerce et de l’industrie du Gabon à Libreville. À cette occasion, la CNR a fait sien le soutien apporté aux putschistes par leur président Jean Ping.

Le rappel sauve

La salle de la Chambre de commerce et de l’industrie du Gabon, à Libreville, a été prise d’assaut par une foule compacte qui a répondu massivement à l’appel de la CNR qui rompait le silence pour la première fois depuis l’irruption des militaires sur la scène politique gabonaise le 30 août 2023.
Étant donné que connaître et comprendre d’où l’on vient permet d’envisager l’avenir avec sérénité, il conviendrait de se souvenir que Jean Ping, alors candidat unique de l’opposition gabonaise à la présidentielle d’août 2016, l’avait emporté avec plus de 65 % des suffrages exprimés, infligeant ainsi une sévère et cuisante défaite au candidat du pouvoir d’Ali Bongo Ondimba. Mauvais perdant, celui-ci, soutenu par des institutions électorales partisanes, franchit le pas de l’horreur en massacrant à l’arme de guerre les partisans du changement au quartier général (QG) du vainqueur. Il fit des centaines de morts, de blessés et de disparitions forcées. Cette boucherie humaine fut étendue à plusieurs quartiers de Libreville et à des villes de l’hinterland, endeuillant de nombreuses familles et laissant beaucoup d’autres dans la désolation.
Indifférent aux lamentations et pleurs de ses « compatriotes », Ali Bongo Ondimba, telle une grosse sangsue prédatrice à la recherche du sang humain, s’accrocha au pouvoir quoi qu’il en coûte. Pendant tout ce temps, le peuple gabonais s’est employé à mener une résistance originale dans le pays et à l’extérieur par une diaspora fortement blindée. L’axe de combat a été de « maintenir un rapport de force intelligent porté par les forces vives de la Nation accompagnées de l’action diplomatique ».

L’amitié authentique

C’est dans ce contexte de totale désolation que le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), avec à sa tête le général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema, prit la direction du pays et s’engagea, devant la nation et le monde entier, « à restaurer les institutions et à redonner la dignité au Gabon ».Le président Jean Ping a clairement exprimé l’engagement de la CNR à accompagner la transition à l’issue de l’audience que lui a accordée son président le jeudi 21 septembre 2023. La CNR a confirmé cet engagement à soutenir, par principe, la restauration des institutions, à savoir la mise en place d’une nouvelle Constitution et d’un nouveau code électoral. Elle reste disposée à collaborer avec le CTRI en tant que de besoin et en tant que de raison.
Toutefois, pour la CNR, accompagner quelqu’un ne signifie pas aller avec lui où il veut l’emmener, comme il veut et dans la direction qu’il désire. L’amitié authentique c’est aussi dire la vérité à son ami pour lui permettre, le cas échéant, de corriger une mauvaise décision, une mauvaise trajectoire. En d’autres termes, cette collaboration, la CNR ne la souhaite pas superficielle, c’est-à-dire motivée par des désirs et des plaisirs sensoriels, mais orientée par l’empathie, l’envie de contribuer à l’édification d’un Gabon plus juste.

Errements, égarements du CTRI

Pendant qu’aucune institution n’a pris de l’envol dans le sens de la restauration, les Gabonais assistent plutôt à une activité intense de glissement vers des méthodes décriées par le passé. La transition que tous les Gabonais ont souhaitée risque de prendre de l’eau si nous n’y veillons.
A l’évidence, depuis la prise du pouvoir par le général Oligui Nguema, un ensemble de faits appelle, à tout le moins, à s’interroger, voire à condamner certaines actions, certains errements ou égarements du CTRI. Pour illustrer cela, nous citerons, notamment :
– la violation de l’article 39 de la charte de la transition dans sa version initiale qui impose un délai de 48 heures au président et aux membres des organes de la transition de déclarer leurs biens auprès du président de la Cour constitutionnelle après la prise de fonction. Ce qui, jusqu’à ce jour, n’est pas fait. Dans ces conditions, il est évident que les Gabonais s’interrogent sur la volonté de transparence et de sincérité des nouvelles autorités. Dans la même veine, en nommant ministres pleins le ministre délégué à la Défense et le ministre délégué de l’Intérieur, le président de la transition a délibérément violé l’article 35 de la charte ;
– la modification, a posteriori, de la charte qui s’en est suivie n’avait pas pour but la réparation d’une violation manifeste de la charte, mais visait plutôt à décharger le président de la transition de ses fonctions de ministre de l’Intérieur et de la Défense afin de satisfaire son ambition de se présenter à l’élection présidentielle à venir. Sinon, comment le comprendre autrement ? Oui, comment effectivement le comprendre autrement quand on sait que le général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema, qui est partie prenante de la transition comme le Premier ministre et les autres responsables des institutions de la transition, soit désormais le seul autorisé à se présenter à l’élection présidentielle à venir ?
Pour la CNR, du point de vue de l’équité et de la neutralité, aucun des membres des organes de la transition ne doit se présenter à l’élection présidentielle à venir sachant que les responsables desdits organes auront la charge de préparer et d’organiser cette élection. A l’observation, les traficotages de la charte par le président de la transition et ses agissements populistes sont du ressort du syndrome d’hubris, autrement dit de l’ivresse du pouvoir caractérisée par cette attitude de toute-puissance qu’il affiche.
Toutes proportions gardées, les traficotages de la charte, en comparaison avec les tripatouillages de la Constitution du temps d’Ali Bongo Ondimba, obéissent aux caprices du nouveau roi. C’est un secret de Polichinelle. Au Gabon, ce que veut le roi la loi le veut.
Au titre des errements, le manque de transparence manifeste dans la gestion des fonds saisis dans de nombreux domiciles des tenants du pouvoir déchu. Ces fonds ont été en partie versés dans une banque commerciale privée dont les Gabonais connaissent les principaux actionnaires alors que ces sommes auraient dû être placées dans un compte séquestre du trésor ou à la Caisse de dépôt et de consignation. Comment empêcher les Gabonais d’y voir des liens incestueux avec le pouvoir déchu ?
En ce qui concerne les égarements, l’on observe, de pied coi, la continuation des pratiques du pouvoir d’Ali Bongo Ondimba caractérisé par la violation des droits humains. C’est ivre de sa toute-puissance qu’Oligui Nguema procéda à l’arrestation arbitraire et à l’humiliation des responsables du syndicat des agents de la SEEG, ainsi que du jeune Ernest Gaétan Ayimi, porte-parole des populations des quartiers Leyima et Lekolo de Moanda dans le conflit qui les oppose à la Comilog.
S’agissant des égarements, les abus d’autorité des agents de forces de défense et de sécurité sur de paisibles citoyens au motif de violation de couvre-feu au point que mort d’homme s’ensuit. Nous constatons, pour le déplorer, que depuis 6 mois, le Gabon vit un régime d’exception avec un couvre-feu permanent qui porte atteinte à la liberté d’aller et venir, aux commerces de nuit sans pour autant contenir les phénomènes de braquage et autres crimes rituels.
Ayant fait le constat du risque de retour en arrière de notre pays, la CNR a décidé de participer à sa manière à la gestion de la transition en donnant désormais sa vision pour éviter d’endosser le silence complice que les Gabonais commencent à soupçonner aux hommes politiques. Elle doit s’investir, comme au temps de la dictature sanguinaire du régime déchu, pour que cette transition voulue par l’ensemble des Gabonais ne soit pas récupérée par des forces rétrogrades qui s’activent à faire ressurgir les méthodes du passé.
La transition rêvée par les Gabonais n’est pas une période de gestion ordinaire de l’Etat, mais une période de nettoyage, de mise à plat et de redressement des institutions du pays. Le CTRI, par la voie de son chef, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, avait déclaré lors de l’audience avec les partis politiques, « je ne suis pas venu construire les routes. Je suis venu restaurer les institutions du pays ». En régime d’exception, l’Etat est géré par les ordonnances de celui qui veut mettre de l’ordre dans le pays et non par des lois élaborées par des personnes qui n’ont aucune légitimité ni compétence.

Manque de volonté politique

A l’instar de le Conférence nationale en 1990, des rencontres de grande envergure ont déjà eu lieu au Gabon et ont produit des réflexions de qualité sur tous les secteurs de la société gabonaise. Mais à chaque fois, des forces rétrogrades les mettent en mal. Ce ne sont pas les solutions aux problèmes des Gabonais qui font défaut. Ce que les Gabonais regrettent, c’est le manque de volonté politique des personnes qui détiennent les manettes du pouvoir de mettre en musique les actes des dialogues. L’enjeu des assises à venir est la mise en application intégrale des décisions qui seront prises. C’est la raison pour laquelle la CNR se battra auprès d’autres patriotes pour que ces assises ne soient pas dénommées « dialogue ». Pour la CNR, le dialogue est une discussion entre deux camps à méfiance réciproque. Le président de la transition ayant déclaré la mort du duo « majorité-opposition », donc le contexte actuel ne se prête pas à un dialogue, car qui sera en face de qui ? Or, les discussions envisagées se feront par de multiples intervenants sur des thématiques variées qui donnent la configuration d’une conférence nationale. Le gouvernement, par la voix du Premier ministre et de la ministre en charge de la Réforme des institutions, s’inquiète abusivement des invectives que susciterait le débat général. Même s’il est houleux, le règlement intérieur et la police des débats permettront de contenir les dérapages éventuels. Alors, de quoi Ndong Sima a-t-il peur ? Veut-il nous empêcher de débattre librement et en vérité des maux qui minent notre pays ? La CNR n’entend pas accepter un débat cosmétique à la manière de ceux organisés par les pouvoirs Bongo-PDG. Pour la CNR le pouvoir n’a pas le droit de dépenser des milliards pour de l’enfumage.

Mémoire et justice

Les Gabonais ont soif de la vérité sur les massacres de 2009 et de 2016. Ceci est un droit inaliénable des peuples. Ils ont besoin de justice et de réparation des préjudices subis, car il s’agit d’un droit reconnu par des organisations et des organismes nationaux et internationaux. Les Gabonais ont besoin d’un espace d’expression libre qui va apaiser les divisions afin d’aboutir à la véritable réconciliation nationale. C’est pour atteindre ces objectifs que la CNR propose la mise en place d’une commission vérité-justice-réparation-pardon-réconciliation qui doit être indépendante et qui aura pour mission de faire éclater la vérité des faits de massacres des Gabonais en 2009 et en 2016, de donner aux victimes l’occasion de raconter leurs expériences et d’œuvrer pour que soit facilité le pardon.
La réussite de la réconciliation nationale dépendra de la mise en place de cette commission qui sera un outil de justice réparatrice. Vouloir régler l’état actuel de notre société par des subterfuges ressemblerait à panser une plaie sans évacuation chirurgicale des tissus infectés. Le sens d’une réconciliation nationale réussie est qu’elle permettra au Gabon de prévenir les conflits, de renforcer l’unité nationale, de rétablir la confiance entre Gabonais et de consolider la démocratie.

Beauty Nana BAKITA MOUSSAVOU

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