Il y a quelques jours, le Procureur de la République près le tribunal de Libreville annonçait urbi et orbi (à la ville et au monde), la découverte de plus de 353 containers chargés illégalement de Kevazingo (Oveng en langue fang). Ces containers placés sous scellés, vont miraculeusement disparaitre la semaine dernière, si l’on en croit les révélations faites par le même Procureur. Hier jeudi 16 mai 2019, le gouvernement est sorti du bois pour annoncer des mesures conservatoires en sanctionnant certains cadres et en préservant le lourd…
Dans le cadre de l’affaire de la disparition au port d’Owendo de 353 containers de kevazingo révélée lors d’un point de presse du Procureur de la République près le tribunal de première instance de Libreville, le gouvernement a pris hier une série de sanctions à l’encontre des présumés responsables dans cette affaire qui ne cesse de défrayer la chronique. Pour le commun des mortels, il s’agit là, du menu-fretin, les grosses légumes sont restées à l’ombre et au frais. Ainsi, c’est par le biais d’un communiqué rendu public hier jeudi 16 mai 2019 que le gouvernement a frappé dans la fourmilière par la voix de son porte-parole Nanette Longa-Makinda en donnant les identités des hauts fonctionnaires suspendus. Il s’agit entre autres de Lin Mandjoupa Directeur de cabinet du ministre des Eaux et Forêts, Serge Rufin Okana Secrétaire général dudit ministère, de Lucrèce Badjina Directrice générale de la Forêt, Ginette Ngombet Issina Directrice générale des industries, du commerce du bois et de la valorisation des produits forestiers, Eurold Luce Mapaya Chef de brigade contrôle Owendo, Ghislain Makita Idzendo agent à la brigade de contrôle d’Owendo, Grâce Carine Okani agent à la brigade de contrôle d’Owendo.
Au ministère de l’Economie, ce sont précisément Pierre Claver Mfouba Directeur de cabinet du ministre de l’Economie et Jeannot Kalima Secrétaire général dudit ministère qui ont été suspendus. Dieudonné Lewamousso Obissa, Directeur général des Douanes et des droits indirects, Jean Christian Ndong Bibang Directeur régional des douanes et des droits indirects de l’Estuaire, Eric Damas Directeur des services de surveillance des douanes font l’objet de cette mesure conservatoire.
Concernant les membres du gouvernement, Guy Bertrand Mapangou et son demi-ministre Franck Nguema des Eaux et forêt, ainsi que Jean Marie Ogandaga ont été indirectement priés de démissionner s’ils se sentent concernés et s’ils en ont le courage : « Par ailleurs, les membres du gouvernement qui se seraient rendus complices de ce vaste scandale sont appelés à en tirer toutes les conséquences », a martelé la porte-parole du gouvernement.
Tout commence le vendredi 23 février, lorsqu’un Conseil des ministres adopte le projet de décret portant interdiction de l’abattage et de l’exploitation du Kevazingo. Le gouvernement se basait sur les articles 67 et 297 du Code forestier. Ce bois précieux est considéré par les populations vivant à proximité des forêts (notamment dans le Woleu-Ntem, l’Ogooué-Ivindo et le Moyen-Ogooué) comme conférant une puissance mystique et spirituelle. Le Kevazingo est, en effet, considéré comme le «gardien», le «roi» de la forêt gabonaise. Cette décision prise en 2018 a été confirmée en avril 2019. Mais malgré cela, les opérateurs économiques Malaisiens et Chinois, profitant de la précarité des populations rurales, organisaient des coupes clandestines.
En mars 2019, une cargaison de 453 containers de Kevazingo est saisie au Port d’Owendo et mis sous scellés judicaires. Mi-avril, ces conteneurs disparaissent comme par magie, ni vu ni connu. Les informations les donnaient déjà partie en Chine. Mais l’enquête sur la disparition des 353 containers contenant du Kevazingo au port d’Owendo s’est accélérée cette semaine. Le lundi dernier en soirée, soit près d’une semaine après sa première sortie sur l’affaire, le procureur de la République Olivier N’Zahou a indiqué que 200 de ces containers avaient été « localisés » par les officiers de police judiciaire chargés de l’enquête. Selon lui, 71 de ces containers sont actuellement sur le site d’entreposage de la Société de transport du Gabon (Sotrasgab), et 129 ont été retrouvés sur le site de la société Owendo Containers Terminal, deux sites situés sur le port d’Owendo.
Selon la même information judiciaire, un présumé commanditaire chinois aurait, quant à lui, été identifié. Il s’agirait de François Wu, de son vrai nom Wu Jufeng, représentant de la société 3C Transit au Gabon. Il serait « activement recherché » par la police judiciaire. Certains de ses complices présumés, parmi lesquels Zhu Kongfu et Amy Zang, ont d’ores et déjà été interpellés par les OPJ. Le Procureur de la République a indiqué que d’autres interpellations suivront. Lors de son point presse, celui-ci a affirmé que « des fonctionnaires publics des Eaux et Forêts et des Douanes (avaient) activement ou passivement favorisé la disparition desdits containers ». Lesquels ?
Un régime au dernier cri de la corruption
Si la célérité de l’enquête menée sur le terrain par les OPJ est à saluer, elle ne résoudra pas le problème dans le fond. Au Gabon, ses dirigeants, illégitimes à la base, ont jeté la honte (qu’en dira-t-on si on apprend que…) et le patriotisme (servir le pays et non se servir) dans les poubelles d’Averda depuis kala-kala. Les libanais, chinois, marocains, sénégalais, maliens et autres « achètent » qui ils veulent dans ce pays de la présidence de la République, aux cabinets de ministères en passant par les administrations telles que la Pêche, les Eaux et Forêts, le Pétrole, les Mines, les budget et le contrôle financier, les Douanes, les Impôts, le Trésor pour obtenir un marché public (sans en avoir même l’expertise technique), un paiement, un titre foncier, ou pour faire entrer illégalement des marchandises au Port d’Owendo (fausse déclaration des marchandises) ou pour en faire sortir. C’est le cas avec cette affaire du Kevazingo. Le Gabon est devenu un pays sans foi ni loi. Un pays voyou !
Aux Eaux et forêts, les langues commencent à se délier. « Nous collègues n’ont rien à voir dans cette affaire. Ils sont victimes des dommages collatéraux. En effet, il y a une vieille pratique ici qui consiste à signer des documents vierges parce que, c’est souvent difficile d’avoir un agent signataire au moment où on est en train de charger un container…Aujourd’hui, nombreux de nos collègues se retrouvent en prison à cause de cette pratique. Ils ont beau expliqués que cela n’a aucune intention de fraude, mais les agents du B2 qui ne savent rien de tout ça, ne les écoutent même pas… Mais à la vérité, ce trafic illégal de Kevazingo existe depuis, sans que cela n’émeuve la justice. Il y a donc là derrière comme un règlement de compte, car il y a au niveau du tribunal, de hauts magistrats qui sont impliqués dans ce dossier. Il y a aussi des gens des douanes et les gens du port qui sont impliqués. Nous aux Eaux et forêt, on n’a rien à voir là-dedans, car ces containers étaient déjà sous séquestre. Maintenant, si on veut vraiment faire la lumière dans ce dossier, il faudra remonter jusqu’aux anciens ministres qui sont passés ici et regarder au niveau de Makokou si l’ancien Premier ministre Issoze Ngondet via un de ses fils adoptifs ne serait pas impliqué. Aujourd’hui, les gens ont peur, d’autres se protègent, à l’image de notre ministre qui doit en savoir un bout mais qui ne peut parler pour ne pas trahir ses anciens prédécesseurs… C’est la politique qui va décider, car la Justice n’est pas aussi forte que l’on croit, c’est une affaire de gros sous. Les chinois qui ont versés beaucoup d’argent n’ont pas l’intention de laisser filer leur argent. Demandez au Procureur comment notre collègue Mboukou Raymond se retrouve en prison.
Lorsque cette affaire éclate, il s’agit d’un palabre au sein de la Douane. Il y a un directeur qui contrôle les équipes de terrain. Il se trouve qu’un groupe d’altogovéens là-bas, voulait faire porter le chapeau de l’affaire qui a mal tourné à leur collègue. A la suite des tracasseries que ce dernier va subir jusqu’au B2. Lorsque ce dernier sort de là innocent, il décide de se venger en organisant la fuite du dossier jusqu’au niveau du Procureur sans même en référer à son DG. C’est comme cela que l’affaire éclate… C’est comme ça que le maître des poursuites va descendre sur le terrain. De nombreux cadres des douanes avant la décision d’hier, seront démis de leurs fonctions… ». Ces propos sont ceux d’un fonctionnaire des Eaux et forêts. Nous poursuivons nos enquêtes dans ce dossier qui visiblement met le feu dans la forêt de l’émergence. Les premières victimes de l’incendie sont déjà connues.