De 2009 à 2020, Ali Bongo a nommé, pour sa part six (6) PM dont les bilans sont très contrastés : Paul Biyoghe Mba, Raymond Ndong Sima, Daniel Ona Ondo, Emmanuel Franck Issoze Ngondet, Julien Nkoghe Bekale et Rose Christiane Ossouka Raponda.
Paul Biyoghe Mba (du 17 juillet 2009 au 27 février 2012)
Au lendemain de la disparition d’Omar Bongo (8 juin 2009 après la démission de Jean Eyeghe Ndong) et après le hold-up électoral d’Ali Bongo contre André Mba Obame dans un contexte de crise économique et sociale, le « prince » de Bikele prend les rênes du gouvernement avec un agenda axé sur deux points : la relance économique et la pacification politique. Sur le plan politique, il n’organisa pas une Conférence nationale que l’opposition exigeait. Aucune réforme constitutionnelle importante n’est non plus enregistrée avec lui.
En bon cacique du PDG, c’est plutôt en interne qu’il tente de manœuvrer pour atténuer les effets de la pression que les jeunes loups qui montent au pouvoir avec Abo commençait déjà à lui mettre. Mais il accorde la part belle à son courant politique (ex-MCD) en nommant ses proches à de hautes fonctions (budget, CNSS…). Au plan économique, il bénéficie de l’embellie des cours mondiaux du pétrole et lance les chantiers du PSGE (infrastructures), ouvre la fonction publique aux recrutements de masse (+30 % de la masse salariale de l’Etat). Mais il transforme son village natal, Bikele, en une petite cité (routes, édifices publics, tourisme…). D’autres parleraient de principauté. Alors qu’il commençait à prendre de l’envergure et une certaine popularité, il est sorti du gouvernement. Les proches d’Abo le soupçonnaient déjà de préparer sa propre élection en 2016.
Raymond Ndong Sima (du 27 février 2012 au 24 janvier 2014)
Après la période faste sous Biyoghe Mba, la chute des cours mondiaux du pétrole appauvrit l’Etat et accroît les pressions syndicales dans les ministères et au sein de la population. Elle est récupérée par les partis politiques. Boa pensa qu’il lui faut un économiste, un redresseur. Ndong Sima, qui a le passé d’avoir « liquidé » ou « redressé » des sociétés parapubliques, est choisi. Sa nomination est symbolique parce que c’est le premier Fang du Woleu-Ntem à accéder à ce poste que la communauté fang de l’Estuaire (famille de Léon Mba et autres) estimait leur chasse gardée. Abo bouscule donc la géopolitique « positivement ». Seulement, Ndong Sima est un opposant proche de Zacharie Myboto (UGDD devenue Union nationale en 2011). Il n’a pas vraiment l’appui du PDG. A sa prise de fonction, croyant qu’Abo allait jouer carte blanche avec lui, il lança, en mai 2012, par communiqué officiel, une grande concertation nationale pour réunir tout le pays afin de plancher sur les problèmes économiques, sociaux et, partant, politiques de l’heure. Le Palais le reprit vertement. L’initiative fut tuée dans l’œuf. C’est sur la plan économique et social qu’il tenta de laisser sa trace. Il fit pression sur les régies financières pour déclarer les recettes, accentua le dialogue avec les institutions financières internationales et lança une grande opération qui restera gravée dans la mémoire des agents de l’Etat, l’apurement des arriérés de salaires dès novembre 2013 où plus de 100 milliards furent redistribués pour relancer la consommation des ménages et, partant, l’économie et la croissance. Seulement, le Gabon, qui ne produit pas, vit cette manne partir vers l’étranger (commerces aux mains des étrangers). Peu d’accord avec les pratiques administratives et politiques du cabinet du président de la République qui, par ailleurs, trouvait agaçant sa volonté d’autonomie en tant que « chef du gouvernement », Ndong Sima fut poussé vers la porte de sortie.
Daniel Ona Ondo (24 janvier 2014 – 28 septembre 2016)
Pour rassurer le parti, Abo repêche au sein du PDG. Ona Ondo est choisi. En ligne de mire de sa nomination, deux arguments apparents : un économiste afin de poursuivre les réformes d’assainissement des finances publiques et de relance économique et la préparation de la présidentielle de 2016 afin de mobiliser la communauté fang du grand nord, car Ona Ondo est aussi natif d’Oyem (canton Nyè). Au plan politique, en cacique du régime, il ne faudra pas s’attendre à ce qu’Ona Ondo vienne proposer, comme Ndong Sima l’avait tenté et compris à ses dépens, des réformes pour changer le régime. Il s’inscrit dans la continuité. Mais son image de « vieux » apparaît comme une caution auprès des caciques qui n’approuvent pas du tout la ligne politique d’Abo et ses choix d’hommes. Mais Ona Ondo fera face à l’entourage des « profito-situationnistes » qui entourent Ali Bongo au Palais et n’entendent rien lâcher pour revenir aux fondamentaux du « bongoïsme ». Ces prises de bec avec les émergents se multiplient au sein du gouvernement et dans la haute fonction publique (super DG). Au plan économique, il ne parviendra pas à la relance puisque le Gabon rentre dans un cycle que les économiques appellent la « stagflation », c’est-à-dire stagnation, voire tendance baissière de la croissance et maintien ou hausse de l’inflation dans le même temps sur fond de chute des revenus du pétrole et de chômage de masse. Au plan administratif et social, deux grandes réformes voient le jour sous son magistère : la prime d’incitation à la performance (PIP) et le nouveau système de rémunération. Après un an d’essai, le projet est torpillé par les émergents et Ona Ondo, dans un communiqué officiel, annoncera en septembre 2015 le retrait de cette réforme qui visait la performance des services publics et une prime pour rémunérer les agents qui travaillent bien.
La réforme des salaires qu’il tente de négocier avec les partenaires sociaux lors du dialogue social d’Angondjé en décembre 2014 n’avance pas. Abo, qui tient les ficelles dans l’ombre, annonce « sans attendre les conclusions » du dialogue social qu’Ona Ondo tente de faire aboutir à Angondjé la mise en place d’un nouveau système de rémunération des fonctionnaires. Là aussi, Ona n’a pas gagné.
Au plan politique local à Oyem et dans le Woleu-Ntem, il n’est pas parvenu non plus à faire élire Ali Bongo. C’est donc sans surprise, au vu de cette succession d’« échecs », que la première décision de ce dernier, « élu » dans la mascarade totale face à Jean Ping au mois d’août 2016, sera de le sortir du gouvernement.
Emmanuel Franck Issoze Ngondet (28 septembre 2016 – 12 janvier 2019)
Pour remplacer Ona Ondo, Ali Bongo va penser qu’il a besoin d’un diplomate au regard du contexte politique national et international de l’époque. Le carnet d’adresses de Jean Ping bloque Abo hors du pays. Au plan national, le pays est toujours au bord de la guerre civile. Les Gabonais n’acceptent pas cet énième coup de force de prise de pouvoir. Diplomate de formation, Issoze Ngondet doit relancer le dialogue avec la Communauté internationale et les acteurs politiques nationaux. Il faut souligner quand même que la nomination d’Issoze Ngondet était « historique ». C’était la première fois qu’un « non » Fang était nommé à la primature. Ensuite, son groupe ethnique (kota) tout comme toute la province de l’Ogooué-Ivindo s’étaient toujours sentis, à tort ou à raison, comme marginalisés dans les choix politiques et économiques nationaux : cadres peu promus, routes et infrastructures oubliées, pauvreté provinciale des plus endémiques du pays. Or, la province aurait voté pour Ali Bongo en 2016. Sa nomination était donc placée non seulement sous le signe de plus d’égalité de chances dans la République, mais aussi comme une façon que désormais cette partie du pays allait décoller.
Au plan national, il organise vaille que vaille le dialogue (monologue) politique d’Angondjé qui ne voit pas la participation de Jean Ping, vrai vainqueur de la présidentielle de 2016 ainsi que des autres forces crédibles de l’opposition (UN, RHM, DN). Les partis gazelles et mouvements sociaux qui y allèrent cautionnent ce dialogue dont Issoze Ngondet se précipita de vanter les conclusions démocratisantes et pacificatrices à Paris et à Bruxelles (Union européenne). A ce stade, la crise post-électorale était close pour les émergents.
Au plan économique, le Plan de relance économique (Pré) 2017-2019 est lancé sous son magistère. Il vise la relance économique dans un contexte de baisse des IDE et des recettes pétrolières. Sous assistance du FMI, ce plan ne parviendra vraiment pas à régler les déficits des comptes publics ou à faire repartir la croissance comme durant la période 2012-2013. Ce plan est marqué par des mesures sociales impopulaires : gel des recrutements à la fonction publique, réduction des emplois dans le secteur privé par l’effet des mesures fiscales et des restrictions budgétaires (fermeture d’agences et projets gouvernementaux qui employaient des Gabonais), libéralisation des prix des carburants à la pompe, etc.
Accusé à tort ou à raison d’avoir voulu la vacance du pouvoir en novembre 2018, au lendemain de l’AVC de Boa, Franck Emmanuel Issoze Ngondet est éjecté de son poste. Né le 02 avril 1961 à Makokou, il quitte le monde des vivants un 12 juin 2020 à Libreville.
Julien Nkoghe Bekale (12 janvier 2019 – 16 juillet 2020)
En fonction depuis le 12 janvier 2019, Julien Nkoghe Bekale ne s’attendait certainement pas à sa soudaine éviction survenue hier jeudi 16 juillet en milieu de journée. Quelques minutes seulement après avoir présidé en matinée, par visioconférence, un conseil interministériel. Le voilà déjà ancien Premier ministre. Il faut dire que l’homme était en sursis depuis le mois de mars dernier. Juste que le palais voulait pousser l’humiliation jusqu’au bout en faisant porter à ce notable fang et fervent chrétien catholique l’impopulaire et abominable disposition sur la dépénalisation de l’homosexualité. Quelle humiliation !
Jamais un PM n’a autant suscité l’impopularité chez les Gabonais, notamment depuis sa promotion de l’homosexualité. D’abord, il faut dire que la nomination de Nkgohe Bekale marquait un retour à l’un des fondamentaux du « bongoïsme », le respect de la géopolitique à dosage ethnique en faveur des Fang de l’Estuaire pour le poste de PM. Ensuite, Nkoghe Bekale était, par son parcours, un PM dérangeant pour le Palais comme certains avaient failli l’être.
Au plan économique, il poursuit le Plan de relance économique (Pré) de son prédécesseur sans toutefois montrer des ajustements personnels en matière des finances, des emplois ou de l’administration. La survenance de la crise du Covid-19 a pourtant semblé revaloriser son magistère en le mettant en première ligne du plan de riposte, mais sa réforme du nouveau code pénal semble bien malheureusement avoir pris le dessus sur son image et son « bilan » auprès des populations. Arrogant, hautain et suffisant, Nkoghe Bekale rentre dans l’histoire comme le plus minable des PM de l’ère Ali Bongo.
Quel classement de ces PM et pour quelle valeur ?
L’on pourrait classer respectivement Issoze Ngondet, Raymond Ndong Sima, Paul Biyoghe Mba, Daniel Ona Ondo et en dernier l’actuel PM Julien Nkoghe Bekale. Mais quels que soient les réformes politiques et économiques revendiquées par ces PM, le constat est qu’ils n’ont pas su véritablement démarquer leur action de la tutelle présidentielle, préférant éteindre leur personnalité et leur intelligence au lieu de recadrer l’action gouvernementale vers les vraies attentes des populations et le changement dont le pays a tant eu besoin sous leur magistère.
En dix ans, c’est plus de 5 000 milliards de dettes, plus de 30 000 milliards de ressources budgétaires cumulées de 2009 à 2020 (dettes et recettes propres), plus de 104 000 fonctionnaires non ou mal utilisés. Le bilan physique et social du pays parle de lui-même : l’état des routes (comme dans la Nyanga, l’Ogooué-Ivindo, l’Ogooué-Lolo, le Haut-Ogooué), les logements sociaux (50 000 toujours en attente en dix ans), la pauvreté et le chômage endémique (70 % de la population), l’institutionnalisation de l’immoralité (comme l’homosexualité), l’insalubrité de Libreville, la corruption et le sous-développement ont pris des proportions inquiétantes qui font du Gabon une honte dans la sous-région subsaharienne comparée à ses ressources et à la taille de sa population.