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Interview d’Alexandre Barro Chambrier, président du RPM : « Le déni de la réalité constitue l’ADN de ce régime »

Le président du Rassemblement pour la patrie (RPM) a accordé une interview à la presse nationale à son domicile d’Ossengue le jeudi 31 décembre 2021 dernier au soir. Avec nous et d’autres confrères dont Carnaud Atomo Mengue de TV+, Arold Leckat de Gabon média time et Teddy Obiang de TV+, Alexandre Barro Chambrier a abordé les questions liées non seulement à la vie de son parti, mais aussi à l’actualité nationale et internationale.

Monsieur le président Barro Chambrier, bonjour ! Comment allez-vous et comment se porte votre parti, le RPM ?

Je vais bien, autant que cela paraît, grâce à Dieu. J’ai une activité qui a été intense tout au long de l’année 2021. Puisque nous sommes à l’heure du bilan, je rappelle que j’ai parcouru une bonne partie du pays (quatre provinces) et ici à Libreville, notre permanence, notre siège ne désemplit pas.

Concernant le parti, il se porte également bien. Nous enregistrons de nouveaux nombreux adhérents. Nous avons franchi le cap de 12 mille adhérents. Ce qui commence à donner de l’allure. Dans tout le pays, nous avons une implantation maintenant. Récemment nous avons été dans la Ngounié après trois autres provinces et nous avons senti que nous étions très attendus et généreusement reçus par les populations locales. Dormant dans les villages, nous échangions beaucoup avec les populations en dehors des causeries. Donc, le RPM se porte bien et s’inscrit dans le paysage national politique du pays comme un acteur important et qui va réserver des surprises à certains.

Cela fait des mois que vous appelez à une large coalition des partis politiques de l’opposition et de la société civile. Avez reçu un écho favorable ? Que vise cette coalition ?

Nous avons des échos favorables. Vous voyez qu’au fur et à mesure de nos tournées à l’intérieur du pays, nous sommes souvent accompagnés d’acteurs politiques de premier plan. Nous avons de très bons contacts avec nos amis de Les Démocrates, de l’Union nationale et beaucoup d’autres partis, notamment le RPG, mais aussi les partis dits des 41. Nous sommes conscients qu’au fur et à mesure que nous allons développer nos arguments, qui sont d’ailleurs partagés par beaucoup, nous arriverons à cette coalition. Rappelez-vous en 2016, c’est peu tardivement que l’on s’est mis d’accord pour la coalition qui devait accompagner Jean Ping à la bataille. Aujourd’hui notre objectif est de tirer les leçons de 2016 et de construire quelque chose qui sera suffisamment organisé à temps. Rappelez-vous que nous aurons une élection à un seul tour. Mais gardons à l’esprit que partout en Afrique les dictateurs ne s’embarrassent pas d’un second tour qui peut leur être fatal. Ils ont instauré la logique d’« un coup KO ». Nous ne pouvons donc pas jouer le jeu de la division lorsque nous savons que le régime, souvent battu dans les urnes, s’accroche au pouvoir par les armes en accompagnant son vol des élections par des tueries, à mon sens, inutiles en démocratie. Il faut déjà mener la réflexion sur comment faire en sorte que le sang ne couple plus dans notre pays à la suite d’une élection présidentielle. Et que ce soit celui qui gagne par les urnes qui soit déclaré président par les instances habiletées  et non jouer à une sorte de « qui perd gagne » qui n’honore pas notre pays.

Il faut également convaincre les partenaires et soutiens extérieurs du régime, dont France, qui, selon la mémoire collective, est le principal soutien du régime en place. Il nous faut aujourd’hui, mieux que par le passé, mieux maîtriser les rouages des élections face à une population qui reste encore marquée et traumatisée par les tueries de 2016 et pour lesquelles elle n’a pas encore fait son deuil.

Avez-vous vraiment tiré les leçons de 2016 ? Nous sommes à l’avant-veille de 2023, la coalition tarde à se mettre en place.

Vous avez parfaitement raison. Le temps nous est compté et nous devons tirer les leçons de 2016. Mais nous devons aussi reconnaître aux acteurs de 2016 et des années précédentes, des années électorales depuis 1993, 98, 2009, 2016, que ce sont des années marquantes où l’opposition, à chaque fois, a fait des projets et est à chaque fois à la lisière de prendre le pouvoir. Surtout en 2016 où Jean Ping a été élu. Nous devons capitaliser ces expériences pour mieux repartir. C’est ce que nous proposons, c’est ce que nous faisons.

C’est Jean Ping qui a été élu, mais demain c’est Ali Bongo Ondimba qui va prononcer son discours en qualité de chef de l’Etat (itw réalisée le 30 décembre 2021 – ndlr). Qu’attendez-vous de ce discours-là ?

Nous voulons vaincre le signe indien pour que cet ordonnancement-là ne se répète plus jamais dans notre pays où celui qui a perdu dirige le pays à la place de celui qui a gagné. C’est la motivation principale de la poursuite de notre combat pour cette résistance. On peut utiliser d’autres mots, mais l’essentiel c’est l’objectif. Nous sommes complémentaires des actions des uns et des autres. L’essentiel c’est la finalité.

Vous me parlez du discours d’Ali Bongo. Nous sommes sans illusion. Voilà quelqu’un qui a le bilan calamiteux que tout le monde connaît et ce n’est pas à quelques encablures, autrement dit à 20 mois des élections, qu’il va y avoir un miracle. D’autant que, depuis 2018, malheureusement, le pays fonctionne au ralenti et nous cherchons la moindre étincelle d’un leadership. Et 2022, sous la gouvernance d’Ali Bongo, ne donnera rien de plus que les années précédentes et peut-être même pire. Vu que nous avons toutes les petites mains qui s’activent autour pour prendre toutes les décisions à la place de celui qui aurait dû les prendre.

A la suite du hold-up de 2016 et des tueries qui s’en étaient suivies, l’Union européenne avait fortement conseillé la classe politique gabonaise à se retrouver autour d’une table. Jusqu’à présent, le régime et l’opposition se détestent et font le mort. Cet appel n’était finalement pas utile ?

A mon sens, cet appel était utile, mais pour discuter il faut être deux. Pour danser la rumba, encore faut-il être deux, dès lors que vous avez une partie qui considère que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, qu’il n’y a rien à redire, qu’ils n’ont rien à se reprocher, que 2016 s’est passé tout à fait normal selon eux, vous voyez que nous marchons complètement sur la tête et qu’à un moment donné, on est rattrapé par les faits. Le déni de la réalité constitue l’ADN de ce régime. Un régime qui empêche les Gabonais de rêver et d’évoluer dans la bonne direction.

Jusqu’à présent le Gabon est resté une zone d’influence française en Afrique. Sauf que, dernièrement, le régime a introduit une demande d’adhésion au Commonwealth. Comprenez-vous cette stratégie lorsqu’on sait que l’Angleterre vient de quitter l’Union européenne ?

La logique n’est pas la première qualité de ce régime. Là il s’agit de quelque chose qui ressemble un peu à un chantage pour dire au bloc francophone que « retenez-moi, sinon je fais un malheur » et je vais vers les Anglophones. Vous savez que notre culture et nos traditions ne nous prédisposent pas particulièrement à avoir des relations particulières dans ce monde. Vous le savez, le Commonwealth est organisé autour de la couronne britannique. Je ne suis pas sûr que ce soit une organisation qui a des finalités économiques très importantes. Donc, pourquoi pas y être ? Le plus important c’est déjà de défendre les intérêts de son pays. C’est de faire face aux problèmes du Gabon. Or, lorsqu’on n’est pas capable d’avoir des responsables dans des secteurs stratégiques qui soient des personnes qui ont la connaissance de l’histoire, de la sociologie de ce pays, lorsque de petites mains se substituent aux compétences qui existent dans notre pays mais qui sont malheureusement mises au chômage par manque de discernement et de jugement, eh bien, nous assistons à l’échec actuel. Nous assistons à la dégénérescence des mœurs que nous vivons aujourd’hui. Toutes ces manœuvres dilettantes nous prouvent qu’il est temps pour nous de tourner la page de ce régime et passer à quelque chose de plus sérieux.

On a souvent comparé le Gabon à un émirat tropical à cause des richesses de son sous-sol.  Seulement, son niveau de développement ressemble plutôt à celui d’un pays sous-développé, gouverné par des kleptocrates. Epousez-vous cette vision ?

Malheureusement, oui. Nous avons tous vu le pillage à ciel ouvert du pays lors du premier mandat d’Ali Bongo. Des sommes faramineuses sont sorties du pays pour aller se nicher dans des paradis fiscaux. Lors de ce deuxième mandat, on parle de plus de 400 milliards de Fcfa qui auraient été dissimulés et qui auraient pris des voies non autorisées pour être placées dans des paradis fiscaux. Ceci pendant que le peuple souffre, pendant que le chômage des jeunes est au plus haut et que la précarité gagne notre pays. Même l’eau potable devient une denrée rare dans notre pays à forte pluviométrie. Ne parlons pas de l’électricité et des délestages permanents ! Des problèmes au niveau de la santé et de l’école qui est en grève depuis plusieurs années maintenant, l’accumulation d’années blanches à l’enseignement supérieur et particulièrement à l’UOB où on risque d’avoir lors de cette année académique, si tout se passe bien pour une fois, trois types de bacheliers en première année, à savoir les redoublants de 2019, les admis de 2020 et ceux de 2021. Donc, pour revenir à votre question, oui, le Gabon a les indicateurs d’un pays à faible revenu, en fait d’un pays pauvre, pour parler crûment. C’est inadmissible. Nous ne pouvons pas continuer à laisser se perpétuer une telle situation. C’est la raison pour laquelle nous sommes engagés avec d’autres d’amis pour le changement et l’alternance.

Le FMI intervient souvent dans notre modèle économique et emploie souvent des méthodes ou des thérapies qui ne sont pas souvent adaptées à nos réalités locales. Vous y avez travaillé. Quelle est votre appréciation ?

J’ai reçu récemment l’administrateur du Fonds. Nous avons été parmi ceux, avec Michel Camdessus, avec d’autres que je ne citerai pas pour ne pas tirer la couverture de mon côté, nous avons orienté le Fonds monétaire pour adopter les stratégies de la réduction de la pauvreté. Souvenez-vous que c’est en l’an 2000 qu’il y a eu une grande conférence ici sous les auspices du président Bongo qui a invité toute l’Afrique et où il y a eu cette inflexion sur le choix des critères de performance qui devaient être plus qualitatifs et moins quantitatifs sur un certain nombre d’orientations par rapport aux privatisations systématiques, par rapport à un certain nombre de choix qui mettaient souvent les populations les plus exposées en difficulté. Tous ces appuis pour subventionner l’électricité, pour permettre l’accès à l’hydraulique villageoise, tous ces financements possibles pour inciter les nationaux à créer des entreprises, à créer des petites et moyennes entreprises pour aider le secteur informel. Donc il y a beaucoup de choses à revoir. Mais en réalité le FMI c’est le pompier qui intervient lorsque l’incendie est déclenché. Souvent il intervient dans des conditions difficiles. Vous avez des experts qui viennent pendant 15 jours, ils restent à l’hôtel. Ils emmagasinent une série d’informations, mais ce n’est pas cela qui va mettre fondamentalement le pays sur la voie du développement. Il faut une appropriation des réformes et des stratégies de développement doivent être pensées par des nationaux. Nous avons suffisamment de cadres bien formés qui sont à même de concevoir et d’implémenter des réformes qui vont avoir un impact par rapport aux objectifs de diversification. Donc, nous devons nous approprier davantage les réformes et aller dans le sens de la prise en compte de nos objectifs. Voyez-vous aujourd’hui, on a cruellement besoin d’une relance économique. Mais ce n’est pas avec les mesurettes qui sont prises aujourd’hui, avec des couvre-feu à 21h, avec des fausses promesses pour soutenir les petites entreprises mais qui ne sont pas réalisées. Les couches les plus défavorisées sont abandonnées. Tout cela, c’est sans cesse du bluff permanent et avec les conséquences que nous constatons.

D’ailleurs, la liste est longue de toutes les promesses de ce régime qui ne sont pas tenues. Nous pouvons rester des heures à égrainer toutes ces fausses promesses depuis « Un jeune un métier » en passant par la Baie des rois, le golf par-ci, les trois universités d’Oyem, de Mouila, de Port-Gentil, l’école du bois de Booué et j’en passe. Maintenant on nous parle d’une Transgabonaise alors qu’on n’est pas capable de faire correctement 100 km jusqu’à Kango. Il n’y a plus de pilote dans le bateau ou l’avion Gabon. Il est temps que les choses changent.

Bientôt deux ans que le Gabon est entièrement bloqué, à l’instar des autres pays, par la crise liée à la Covid-19. Pour le cas du Gabon, la crise est gérée par le gouvernement de Rose Christiane Ossouka Raponda. Avant elle par celui de Julien Nkoghe Bekale. Quelle appréciation faîtes-vous de la façon dont l’Exécutif gère cette crise ?

Il y a là-dedans comme de l’amateurisme. Et nous voyons les résultats tous les jours. Ce n’est pas fameux. Nous déplorons un nombre important de morts par rapport à notre démographie. Nous devons être au nombre de 300 morts. Officiellement on parle de 270. Je pense que c’est beaucoup plus que cela. Nous voyons et nous nous inquiétons de l’opacité de la gestion des ressources. Entre les dons, les emprunts et toutes les ressources propres qui existent au niveau de qu’on peut appeler à présent un Corona-business qui a connu un coup d’arrêt momentané avec la gratuité des tests PCR depuis hier. Mais, là encore, c’est l’opacité. On ne sait pas quand les ressources arrivent, quelle est leur destination, à telle enseigne que je crois savoir qu’un bailleur de fonds a exigé l’audit dans l’utilisation de ces ressources.

Au plan des soins, nos personnels médicaux déploient des efforts énormes sans qu’il y ait les contreparties au niveau de la rémunération ou de l’incitation, mais dans un contexte de plateau technique défaillant et où il y a des pénuries de personnel. Actuellement, par exemple, beaucoup de personnes sont contaminées, notamment les médecins et le personnel soignant. Et tout cela pose des problèmes.

De l’autre côté, il y a toute une série de mesures liberticides qui n’ont pas prouvé leur efficacité. Nous sommes l’un des rares pays au monde à connaître un couvre-feu depuis deux ans. C’est inédit. Nous sommes passés de 18h à maintenant 21h que nous sommes condamnés pour ceux et celles qui n’ont pas le pass magique pour circuler, à rester dans nos maisons, dans nos chaumières, avec toutes les conséquences sur les activités économiques et de loisir. Un pays doit fonctionner. Au bout de deux années, vous conviendrez avec moi que cela dénote d’insuffisances très importantes. Donc, le bilan chacun peut le mesurer à l’aune de cette exaspération des populations qui n’en peuvent plus.

Au-delà de la crise sanitaire, le Gabon fait face à une crise multiforme, notamment au niveau de l’éducation où l’on observe un bras de fer entre les enseignants et le gouvernement. Votre réaction ?

C’est le gouvernement lui-même qui se met dans cette situation. Parlant du gouvernement, les Premiers ministres changent, les ministres changent, à un moment donné, il faut désigner le vrai responsable. Et le vrai responsable, c’est celui qui est à la tête de l’Etat, qui est censé donner l’impulsion et qui est censé contrôler. Sauf qu’il n’est plus en capacité de le faire. Nous relevons, pour le déplorer, qu’après les états généraux de l’éducation et de la recherche, un certain nombre de besoins en investissement ont été prévus et programmés, malheureusement, rien n’a été exécuté. Aujourd’hui on cherche péniblement à la loupe la construction de nouvelles écoles, de nouveaux lycées et collèges comme cela devrait être le cas dans un pays où la croissance démographique est tout de même importante et où les jeunes constituent la part la plus importante de la population. Toutes ces défaillances au niveau de la revue du personnel administratif, du personnel enseignant, toutes ces choses auxquels l’Etat s’est engagé, les nouvelles salles de classe, les programmations, les inspecteurs pédagogiques, d’académie…tous ces points qui sont à juste titre revendiqués par les syndicats ne voient pas le début d’une solution. Donc, nous ne sommes pas étonnés d’être dans cette impasse. Malheureusement, depuis plusieurs années déjà, les années blanches s’accumulent et ce sont nos enfants qui sont sacrifiés.

Même son de  cloche au niveau des régies financières. Pour vous, qui êtes un économiste de renom, quel impact peut avoir la crise sociale au sein des régies financières, notamment au sein du ministère de l’Economie, du Budget et celui des Hydrocarbures en grève depuis plusieurs mois ?

Cette crise a un impact considérable. Aujourd’hui nous recherchons les quarts et les demi-points supplémentaires après une année 2020 de récession économique, une croissance en dessous de 2 % en 2021. Vous comprenez bien que ce n’est pas avec des grèves généralisées dans ces régies qui ont été complètement désorganisées. Là encore, par le fait de la présidence de la République qui décide de la dépense à la place du ministère des Finances et du Budget, qui est devenu un simple caissier. Vous savez très bien que les décisions sont prises aujourd’hui à la présidence de la République par des personnages dont nous ne connaissons pas l’expérience ou encore les dispositions à pouvoir gérer des situations qui sont devenues aujourd’hui complexes. Dans ces conditions, quelque chose qui faisait la fierté de notre pays, les primes d’incitation qui permettaient de motiver ces agents de l’Etat qui contribuent énormément pour sécuriser le budget de l’Etat. Vous voyez bien que  nous nous retrouvons dans une situation où  tout est désorganisé, où il y a des doublons, d’autres m’ont signalé des triplons. Des problèmes d’homonymie, des morts qui sont inscrits et tout cela sur une masse de six milliards mensuels qui est prévue. Rien que le nettoyage du fichier permettrait de faire un milliard d’économie.

Vous avez une petite expérience dans la finance. Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour mettre de l’ordre dans ce secteur ?

Il faudrait déjà que ceux qui ne devraient pas se mêler de cette question restent à leur place. Les nouvelles règles qui ont décidé de manière unilatérale par un décret en décembre 2020, qui ne sont mêmes pas en début d’application, que ces règles soient remises sur la table et discutées avec les acteurs de ces secteurs et qu’on voie réellement où est-ce que les choses se situent et que chacun retrouve sa vocation à laisser les finances publiques gérées par ceux qui sont censés avoir les compétences et l’expérience. Là encore, faut-il avoir la volonté de discuter, d’échanger et de faire des avancées.

Mais, que voulez-vous ? Pendant que les ressources publiques sont utilisées pour les voyages, les budgets de la présidence, qui sont opaques, où on ne sait plus qui fait quoi, des voyages sont financés par l’argent de l’Etat, mais qui n’apportent rien à l’Etat, vous comprenez très bien que tous les fonctionnaires qui assistent à ce spectacle sont un peu exaspérés. Encore une fois, c’est l’exaspération dans tous les secteurs.

On ne saurait clore ce chapitre social sans évoquer un scandale, pour le moins ignominieux dans notre pays, celui des abus sexuels sur des enfants dans les milieux du sport, notamment du football et du taekwondo. Quelle appréciation faîtes-vous de cette situation qui a choqué les Gabonais ?

Le mot choqué est faible face à cette situation qui nous écœure à juste titre. Choqué est un mot faible, car on ne pouvait pas s’imaginer de tels abus sexuels sur des enfants. Imaginez-vous à une telle échelle et, semble-t-il, depuis des dizaines d’années, sans que ceux qui sont chargés de veiller à la sécurité de nos enfants, sans que des enquêtes soient diligentées. Il a fallu, nous dit-on, un article du journal britannique The Guardian pour que les gens commencent à se réveiller. Tout cela est une déliquescence des mœurs. C’est à l’image de cette société qui devient sans repère où l’Etat ne joue plus son rôle, où les dirigeants ne constituent plus des modèles et où il n’y a plus de valeurs. C’est la course à l’enrichissement, à la corruption, à la perversité. Conséquence, le mérite est complètement mis de côté et nous arrivons à des situations où c’est ce type de personne, avec des pratiques condamnables qui, malheureusement, tire les ficelles un peu partout et je crains que là où on a levé un lièvre, mais on risque de découvrir encore ou faire semblant de découvrir parce qu’il y en a qui savent. Sauf que tout homme étant présumé innocent, il va falloir, pour une bonne justice, sans passion, identifier les victimes, les sécuriser, boucler les enquêtes et appliquer les sanctions. Et des sanctions exemplaires.

Et, à ce niveau, j’en appelle au courage des victimes auxquelles j’apporte tout mon soutien et leur dire qu’elles doivent se manifester et apporter leur témoignage à la justice, donc se porter partie civile. Sans victime, sans preuve, il n’y a pas de coupable. L’affaire pourra donc se conclure par une simple dénonciation calomnieuse en faveur des coupables alors que nous savons tous qu’au Gabon ces pratiques existent et que nos autorités, qui sont les mieux renseignées du pays, ne peuvent pas dire qu’elles n’étaient pas au courant. Cela ne fait pas sérieux.

Avez-vous confiance en la justice gabonaise dans sa capacité à faire toute la lumière sur ce dossier ?

Aujourd’hui nous sommes obligés de reconnaître que la justice est souvent instrumentalisée. Mais on ne peut pas généraliser. Nous avons encore des magistrats, des juges qui essaient de faire leur travail dans des conditions difficiles. Mais vous conviendrez que dans un environnement où tout est instrumentalisé par le pouvoir politique, c’est extrêmement difficile. Nous le voyons avec les prisonniers politiques qui sont détenus sans procès pendant des années, sans que nous sachions pourquoi, si ce n’est parce qu’ils ont eu des opinions politiques contraires à ceux qui nous gèrent ou sont censés nous gérer aujourd’hui.

Venons-en à la vie de votre parti, le RPM. Vous rentrez d’une tournée politique dans la province de la Ngounié. Votre constat sur le niveau de vie ces population du sud Gabon. Au regard de ce constat, est-il facile de diriger ce pays ?

Vous mettez la charrue avant les bœufs. Le but de notre tournée était effectivement de recueillir les attentes et les aspirations des populations et de renforcer l’implantation de notre parti, le Rassemblement pour la patrie et la modernité, qui devient une force de plus en plus présente sur le terrain. J’avoue que nous avons reçu un accueil enthousiaste partout où nous sommes passés, que ce soit dans le Woleu-Ntem, que ce soit dans le Haut-Ogooué, que ce soit dans l’Ogooué-Ivindo et maintenant dans la Ngounié. ça été un afflux massif des populations, un intérêt marqué pour les échanges, pour notre message, pour notre vision. Et nous avons effectivement – et ce n’est pas une surprise – constaté que le Gabon régresse. Que les populations sont dans la désolation, dans l’incertitude, dans la précarité, dans la désespérance et qu’elles ne comprennent pas comment notre pays peut comprendre une telle régression, un tel immobilisme alors qu’il y a tant de possibilités.

Parlons des échéances à venir. Serez-vous candidat en 2023 ?

A ce stade, nous faisons pour le moment un travail de pédagogie et de conscientisation des populations qui doit nous amener vers une mobilisation plus importante. Une mobilisation telle que nous aurons atteint notre objectif qui est de constituer l’alternative et faire en sorte que ceux qui gèrent aujourd’hui le Gabon dégagent demain et puissent connaître ce que c’est l’opposition.

Mais en disant cela, gardons à l’esprit que depuis 1993 ce n’est pas celui qui gagne la présidentielle par les urnes qui est déclaré vainqueur, mais ceux qui ont décidé de le confisquer par la légitimité des armes. Et vous savez que les Gabonais gardent encore au plus profond d’eux-mêmes le traumatisme causé par les tueries de 2016. Si, en 2023, le régime reste dans sa logique de confisquer le pouvoir par les armes et de donner à nouveau la mort à son propre peuple et parfois sous la barbe de la Communauté internationale, quelle stratégie devons-nous adopter en ce moment-là ? Donc, comprenez que je ne puisse pas me prononcer sur une probable candidature de ma personne en 2023. Le parti se tient prêt pour cette éventualité, mais avec le soutien du peuple gabonais qui souffre depuis longtemps déjà de la mauvaise gestion du régime en place qu’il cherche à dégager mais qui s’accroche comme une grosse sangsue au pouvoir certainement pour les honneurs et l’agent, car il n’a rien à proposer.

Les Gabonais veulent savoir si, oui ou non, Alexandre Barro Chambrier sera candidat en 2023.

Je crois avoir dit que je compte m’impliquer fortement avec d’autres Gabonais pour arriver au résultat de l’alternance au Gabon. Voyez-vous, la question ce n’est pas Barro Chambrier ou untel. La question c’est le pouvoir pour quoi faire ? Le pouvoir pour permettre aux Gabonais de retrouver la fierté. Commencer à espérer et considérer que la fatalité de l’échec n’est pas quelque chose d’inéluctable. Voilà ce pourquoi nous sommes engagés.

Sans verser dans une querelle de personnes, où en êtes-vous dans le conflit opposant le RPM et le RHM avec votre compagnon de l’époque Michel Menga ?

Il se trouve que nous avons eu des divergences de vue comme cela arrive à un moment donné. Michel Menga a choisi d’aller au gouvernement des usurpateurs. Nous avons choisi de continuer notre combat pour l’alternance et le changement. A partir de là, je suis le président légal et légitime du RHM. Si on considère que c’est le RHM qui a été légalisé par le ministère de l’Intérieur est celui reconnu, il se trouve que le récépissé délivré à cet effet porte bien mon nom. Et je ne crois pas qu’entre- temps un autre récépissé a été délivré à quelqu’un d’autre. Donc à ce niveau, il n’y a pas débat.

Le RHM a fini par migrer vers le RPM comme la loi le prévoit. Ce n’est pas un nouveau parti, mais un parti en transformation dont je suis le président. Donc, qu’on parle du RHM ou du RPM, c’est ma modeste personne qui est le président. La loi sur les partis politiques est très claire. Elle dit qu’en cas de changement de dénomination, on informe le ministère de l’Intérieur dans les 15 jours qui suivent. C’est ce que nous avons fait. Le ministère a entériné et nous a délivré récépissé. Il se trouve que le récépissé qui nous a été délivré, ne portant pas la mention « récépissé définitif », cela semble poser problème et c’est sur à détail-là que s’accrochent les usurpateurs.

Il est souvent dit ici et là que vous bénéficiez du soutien de Brazzaville, notamment d’Omar Denis Junior Bongo Ondimba. Quelles sont vos relations au-delà des liens de famille entre vous et le président Sassou Nguesso ?

Laissez Junior de côté ! C’est notre fils à tous. Ceux qui ont vu dans quelle condition l’épouse de l’ancien président, le défunt Omar Bongo Ondimba, est morte et dans quelle condition lui-même a suivi son épouse trois mois après, doivent avoir un peu de retenue par rapport à ce fils qui, d’ailleurs, a entrepris de brillantes études. La réalité est que le Gabon et le Congo ont 1 903 km de frontière. Le Gabon et la Guinée Equatoriale ont 350 km de frontière. Le Gabon et le Cameroun, c’est 290 km de frontière. Dès lors, nous sommes condamnés à vivre ensemble et à développer de bonnes relations entre ces différents pays et surtout que nous voulons l’intégration régionale. Nous avons la volonté d’avoir une intégration régionale plus poussée. Une intégration des personnes et des biens. Un certain nombre de projets fédérateurs. C’est cela l’intégration régionale. On ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Historiquement, le Gabon et le Congo ont toujours eu de très bonnes relations. Si ma modeste personne, à travers mes relations, mes connaissances, peut permettre que ces relations se perpétuent, je ne vois pas où est le problème. Je suis attaché à la souveraineté de mon pays. Il y a un principe de non immixtion dans les affaires intérieures des pays. Peut-être que ceux qui vous amènent poser cette question ont des choses à se poser eux-mêmes.

Pour aboutir à une décrispation, êtes-vous prêts à dialoguer avec vos anciens camarades d’en face ?

Je vais vous faire une confidence. J’ai eu beaucoup d’approches pour m’amener à renoncer à ce que je fais. Ils se sont heurtés à un mur, car mon engagement est total et sincère. Voyez-vous, comment peut-on refuser le dialogue lorsqu’on a été à l’école du défunt Omar Bongo ? Ceux qui se réclament sans cesse de son héritage ne voient pas la nécessité du dialogue. Ils sont en porte-à-faux avec l’approche qui était prônée par le PDG. Nul besoin de vous rappeler le triptyque de ce parti que chacun de nous connaît de cet ancien parti unique.

Vos rapports avec le président Jean Ping ?

Ils sont excellents. C’est un aîné pour qui nous avons le plus grand respect pour tout ce qu’il a accompli. Lui-même est un acteur actif de premier plan dans notre combat. Je considère que nos efforts complémentaires et qu’à un moment donné vous percevrez mieux les convergences.

Merci, Monsieur le président !

C’est moi qui vous remercie de m’avoir donné cette opportunité d’essayer de montrer que dans tous les domaines de l’activité économique, dans tous les domaines de l’appréciation de l’évolution de la société, des mœurs, nous voyons un échec. Je voudrais, au terme de cette année 2021 qui a été une année difficile sur beaucoup de plans pour nous tous, qui a été une année où on a poussé parfois à l’exaspération, où on se demande encore s’il y a un devenir sur cette terre de notre pays, où l’on s’interroge sur l’avenir de nos enfants, je voudrais dire qu’à travers mes tournées, à travers les échanges que j’ai chaque jour avec nos compatriotes, avec nos frères et sœurs, avec nos amis, nos partenaires, qu’il y a un chemin. Un chemin certes étroit, mais que nous pouvons et que nous devons emprunter pour faire aboutir cette alternance à partir de la détermination, de la mobilisation, de cette hargne, de cette volonté de changement qui doit nous habiter. Il est clair qu’il est permis de croire que notre pays, le Gabon, va connaître l’alternance. Je suis convaincu que ce régime ne pourra pas aller au-delà des échéances normales. A condition que nous mettions nos ego de côté et permettre à notre pays de recueillir tout le potentiel dont il dispose pour connaître une croissance forte, une expansion et une bonne redistribution des fruits de la croissance.

2022 sera une année charnière. D’ores et déjà je souhaite à nos compatriotes une bonne et heureuse année 2022. Beaucoup de santé, de bonheur et de persévérance et que l’esprit républicain gagne davantage en nous pour faire en sorte que quelles que soient nos différences, nos divergences, nous puissions encore nous rapprocher un peu plus pour ce grand rassemblement qui sera porteur de progrès, de changement de gouvernance, de démocratie. Que Dieu bénisse notre pays et son peuple !

Guy Pierre Biteghe, Harold Leckat, Teddy Obiang, Carnot Atomo Mengue

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