Sans l’ombre d’un doute, le sentiment anti-Bongo, à fleur de peau, a été ravivé par le pronunciamiento du lundi 7 janvier dernier. Les Gabonais, dans les quartiers, n’en ont d’abord pas cru leurs oreilles. Nous sommes dans le 1er arrondissement. Il est quatre heures du matin. Soudain on entend des explosions.
De pétards, se demande-t-on, une semaine après la St Sylvestre ? D’une telle puissance ? Assurément non, réalise-t-on ! Un feu d’artifice ? Sans aucune luminescence dans la nuit encore noire ? Improbable ! Les salves se multiplient. Partout, depuis les feux tricolores de Gros-Bouquet, Derrière-la-prison, Cité-Pompidou, Plaine-Orety, Derrière-l’Assemblée, Derrière-Mbolo, le feu des fusils, des mitraillettes, des canons de chars, des lancers de grenades, etc. enfièvre les quartiers. Derrière les fenêtres, l’inquiétude s’empare peu à peu des gens qui ont bien compris qu’il s’agit d’armes et pas de pétards. Que faire ? Folie que de sortir dans cette obscurité hostile ! Mais, avec ces claquements d’armes qui semblent se rapprocher, au fur à mesure que les heures passent, comment ne pas craindre que les assaillants décident de tirer sur les maisons et y pénètrent ? On s’appelle entre parents, voisins, amis, on se met au courant, on se questionne, souvent pour s’avertir. L’inquiétude côtoie la panique. On éteint tout. On fait le plus grand silence. On reste coi. Les tirs et bombardements dureront pas moins de 6 heures de temps
Au petit matin, Radio Gabon crache un communiqué d’un Mouvement patriotique des jeunes des forces de défense et de sécurité du Gabon (MPJFDSG). Inconnu au bataillon. Mais les choses se précisent. Ce mouvement contrôle apparemment l’immeuble de Gabon Télévisions et la radio. Et le lecteur du message est plutôt précis. Il invite « tous les hommes du rang et les sous-officiers » à se procurer « armes et munitions » et à « prendre le contrôle » des points stratégiques du pays, comme les édifices publics et les aéroports. Il exhorte la population à les soutenir, « pour sauver le Gabon du chaos ». « Si vous êtes en train de manger, arrêtez !», martèle-t-il, « Si vous êtes en train de prendre un verre, arrêtez ! Si vous dormez, réveillez-vous. Réveillez vos voisins […], levez-vous comme un seul homme et prenez le contrôle de la rue », avant d’annoncer la prochaine formation d’un « Conseil national de la restauration » afin de « garantir au peuple gabonais une transition démocratique ». Ça continue de tirer, notamment aux proches alentours de l’immeuble de Gabon Télévisions. Les habitants des quartiers osent, malgré tout, mettre le nez dehors et se retrouvent entre voisins pour commenter une actualité qui se déroule en direct, quasiment devant eux. Les sentiments des uns et des autres sont partagés. Certains, gagnés par la sympathie, attendent une issue heureuse pour les rebelles de cette occupation de la radio. D’autres, plus que dubitatifs, mettent en doute le sérieux de l’affaire et dénoncent la spontanéité des mots d’ordre. Ils ne comprennent pas pourquoi, alors que le terrain n’est pas encore sous leur contrôle, les mutins se sont d’abord emparés de la radio…et même pas de la télé… D’autres encore parlent d’un coup monté visant à arrêter des personnalités gênantes qu’une vaste opération d’enquêtes téléguidées du bord de mer va très certainement amorcer dans les jours qui suivent. Les noms des personnalités citées augurent de leurs interpellations prochaines. Tous ces débats de quartier montrent que la sérénité est de retour. Même si, en même temps, ça continue de tirer.
Lorsque Guy Bertrand Mapangou passe sur France 24, annonce et confirme la capture de quatre des mutins et déclare un, Kelly Ondo Obiang, en fuite, la tension baisse et beaucoup paraissent déçus. Les tirs ont alors cessé depuis un petit moment. Chacun s’en retourne progressivement chez soi cherchant à comprendre ce qui vient de se passer. Vrai-faux coup d’Etat ? Rendez-vous de la naïveté et de la spontanéité avec ces appels aux soldats, aux leaders politiques, à la société civile, au peuple à venir s’offrir en plat de résistance d’une entrée en matière périlleuse ? Prélude à une chasse aux sorcières, notamment après les noms de Ntumpa, Rapotchombo, Milebou, Libama, Yama, Oyane, Laurence Ndong ? Les jours qui arrivent nous sortiront du brouillard actuel pour nous en révéler certainement beaucoup plus.
Que disent la France et l’Union africaine. Elles condamnent en chœur la mutinerie. On s’y attendait. Peuvent-elles proclamer un autre refrain que celui du respect, quasi atavique, d’une Constitution régulièrement malmenée par les bongoïstes eux-mêmes. En 2016, Paris avait demandé à Jean Ping de scrupuleusement faire confiance à la Cour constitutionnelle. Ce qu’il fit. Ce qui le défit, au bout du compte. En tous cas, dans les têtes songeuses de la plupart des Gabonais, ce jour-là, deux choses semblent de plus en plus évidentes. Que ce soit un vrai-faux coup d’Etat ou une révolution de palais manqué, le Gabon vient d’ouvrir les portes de l’inconnu. Le système-Bongo n’est assurément pas l’émanation du peuple. Et ce dernier n’a jamais eu foi aux Bongo. Ils se sont toujours affrontés sur le terrain des illusions juridiques de l’Etat-Bongo dont Omar et, plus tard, Ali, ont toujours tiré les ficelles. La chasse aux sorcières, qui ne peut manquer d’être l’étape successive des évènements du 7 janvier 2018, nous fera, à coup sûr, faire une enjambée de plus vers cet inconnu.