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Gabon/La chronique politique de Beauty Nana BAKITA MOUSSAVOU : Les éléphants blancs du système Bongo

À une quarantaine de kilomètres de Libreville, la capitale gabonaise, croupit dans la haute broussaille de la Mondah, dans le département du Komo-Mondah, l’un des grands pachydermes blancs du système Bongo : le site de Sotrader. Ndong Sima, Premier ministre de la transition et ex-chef du gouvernement d’Ali Bongo Ondimba, s’est curieusement déclaré choqué en faisant la soi-disant découverte. Cet éléphant blanc, comme tant d’autres, a piétiné et écrasé les finances du pays délesté de milliards de francs cfa.

Les larmes de crocodile des Occidentaux

En économie, « un éléphant blanc est une réalisation d’envergure prestigieuse qui s’avère, en définitive, plus coûteuse que le bénéfice escompté et dont l’entretien devient alors un gouffre financier ».
Eric Fottorino, Christophe Guillemin et Erik Orsenna, dans « Besoin d’Afrique », l’ont défini comme étant « une construction somptuaire, inutile, coûteuse qui a la faculté d’alourdir la dette des pays africains, de ne pas fonctionner, de se changer en ruine ou en fantôme au bout de quelques années ».
Tout au long du règne des Bongo, le Gabon a connu d’innombrables poses de premières pierres fantomatiques. A peine commencés, les travaux s’arrêtaient au bout de quelques mois. Les parpaings noircissaient, calcinés par la chaleur du soleil équatorial alors que les études relatives à ces projets se finançaient à coût de milliards obtenus à crédit et à des taux usuriers et ruineux auprès des institutions de Bretton Woods chargées de la spoliation de l’Afrique. C’est cet argent qui fait partie intégrante de la lourde dette qui appauvrit le pays, le surendette et annihile sa souveraineté économique et financière.
L’économie gabonaise est, en général, déstabilisée par des procédures qui lui sont imposées par les puissances impérialistes occidentales. En contractant des dettes pour rembourser des dettes, elle va de déficits budgétaires en déficits budgétaires à travers un endettement en surenchère : un cercle vicieux. Pendant ce temps, les firmes et l’économie des pays occidentaux se portent trop bien. Ironie du sort, lorsque les crises éclatent, les fameux « bailleurs de fonds » viennent, par la suite, jouer aux sapeurs-pompiers. Comme le dit un philosophe panafricain contemporain, ces « spécialistes de la larmo-crocodologie », qui affichent une manifestation émotionnelle fausse et hypocrite, volent au secours pour, soi-disant, réparer les dégâts dont ils sont à l’origine. Ils proposent de pseudo plans d’ajustement structurel suggérant des réformes économiques pour sortir les pays de la crise qu’ils ont provoquée. Les négociations somnifères qu’ils engagent avec les « mendiants » à la tête de nos Etats aboutissent à l’obtention de prêts dits d’ajustement structurel. N’ayant que leurs intérêts à défendre, les Occidentaux ne font pas dans la dentelle. Sans sourciller, ils volent, pillent pour leur propre survie, car à leurs yeux, la vie des autres n’a pas de sens et seule la leur compte. D’où, lorsqu’ils veulent obtenir insidieusement ce qu’ils souhaitent, ils sont toujours prêts à remplir un océan de larmes de crocodile pour convaincre. Pour la gouverne de chacun, l’expression « larmes de crocodile », qui fait allusion à une légende de l’antiquité où les crocodiles charmaient leurs proies par des gémissements attrayants, convient fort bien à leur basse vision du monde. Une fois attirée, la proie se faisait prendre. Cette stratégie délibérée réussit à tous les coups auprès de nos dirigeants dont la candeur et la sincérité naïve constituent leurs qualités premières.
Certains d’entre eux s’échinent pour passer meilleurs élèves du fonds monétaire, de la banque mondiale et autres. Incapables de mettre en place des plans de développement par leurs propres économistes, ces ingénus se vendent, les yeux fermés, au premier bonimenteur occidental. C’est ainsi que les économies des pays africains prennent de l’eau et, faute de mieux, nos dirigeants gouvernent à la godille, « façon-façon ». Les projets initiés terminent leurs courses à la poubelle : santé pour tous à l’an 2000, auto-suffisance alimentaire, agriculture, « priorité des priorités », etc. Ce léger aperçu montre les différents bluffs que les organisations internationales ont toujours servis à nos sous-préfets tropicaux.

Auto-suffisance alimentaire

L’une des grandes incongruités fut l’absence dans le gouvernement qui a conduit le Gabon à l’« indépendance » d’un ministre de l’Agriculture pour animer la politique agricole conduisant à l’auto-suffisance et à la souveraineté alimentaires.
Mais la loi n° 62/63 du 28 décembre 1963 portant création d’un fonds de développement rural donnait le ton des autorités de l’époque de faire du Gabon un pays à vocation agricole. Le Fonds de développement rural mis en place était chargé de faciliter et de garantir toutes les opérations financières intéressant la vie rurale, un instrument du gouvernement dans son action en vue du développement rural. Dès les années 70, l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao) fit de l’auto-suffisance alimentaire un leitmotiv. Le concept signifie « la capacité de chaque pays à satisfaire les besoins alimentaires des populations à partir de la production » endogène.
En 1970, l’école de Port-Gentil fut ouverte, et fermée quelques années après.
En 1976, un projet d’hydroponie, à travers la société Agripog, fut installé, cette fois encore, à Port-Gentil. En 1977, elle réalisa une production de 110 tonnes de produits maraichers qui alimentaient Libreville et Gamba. En dépit de ses brillants débuts, Agripog mourut de sa belle mort en accusant les charges exponentielles d’exploitation.
En 1975, l’Ecole nationale des cadres ruraux (ENCR) vit le jour à Oyem, au nord du Gabon. Elle fut fermée quelques années plus tard, puis rouverte et vite refermée et ce, pour toujours. La mise en place de cette structure procédait de l’idée noble de réaliser l’encadrement des cultivateurs par des techniciens formés. Mais sitôt les premières cuvées sorties, ces praticiens furent parqués dans des bureaux climatisés du ministère de l’Agriculture, au grand dam du monde agricole qu’ils devaient aider à accroître la production pour inonder le marché national. L’idée de la revalorisation de l’agriculture comme arme de l’après-pétrole s’intensifia et des structures telles que la bananeraie de Ntoum furent mises place. En 1978, une superficie de 250 ha de bananiers, sur 300 ha, était en cours de production. Des productions animales virent aussi le jour avec les ranchs de grande exploitation de Sogadel à Tchibanga, Ndendé et Boumango.
En 1977, Agro Gabon planta 1 500 ha de palmiers dans la zone de Nsilé (Lambaréné) et en tira 7 000 tonnes d’huile de palme en 1989. Quelques années plus tard, la bananeraie et Agro Gabon connurent des fortunes diverses.
Pendant que les Bongo jouissaient des bienfaits de la manne pétrolière, certains pays africains, à l’instar du Cameroun, ont relativement atteint leur auto-suffisance alimentaire. Au lieu de chercher à trouver des solutions durables au problème, nos dirigeants se sont tournés en direction de l’étranger pour satisfaire les besoins alimentaires des populations. Le Cameroun fut alors érigé en self-service du Gabon pour ses besoins en produits maraîchers et vivriers. Des sociétés d’import-export alimentaires trouvèrent là un secteur lucratif et s’y engouffrèrent avec bonheur. Selon l’Agence Ecofin, nos dirigeants dépensent 550 milliards Fcfa par an en dépenses alimentaires. Ils s’efforceraient à renverser cette tendance en réduisant les importations de 50 % à l’horizon 2025. Encore un vieux pieux !

L’agriculture, parent pauvre du pays

En matière alimentaire, le Gabon se trouve à des années-lumière d’avoir la solution à l’équation à plusieurs inconnues de l’auto-suffisance alimentaire.
Il y a quelques années, des bribes de prise de conscience s’étaient échappées de la tête d’Ali Bongo Ondimba en procédant au lancement du projet Graine et de neuf fermes agricoles, soit une ferme par province. Mais seules deux connurent un début de mise en route. La ferme du Komo-Mondah, dans l’Estuaire, et d’Okoloville dans Haut-Ogooué. Mais le capital technique consenti en vue de l’industrialisation, de la technologisation et de la mécanisation de la production de la ferme de l’Estuaire se trouve enfoui dans le sous-bois de la Mondah. Ndong Sima, le cœur serré, s’est curieusement retrouvé, comme par magie, en présence des restes du dinosaure. Quant au capital financier, il gagna les poches de ceux qui ont eu la responsabilité de la gestion du projet. En prenant la période d’achat des équipements comme point de référence, les responsables de cet énième éléphant blanc peuvent être vite identifiés et pourront répondre de l’étendue de leur acte afin que l’agriculture ne continue pas à demeurer le parent pauvre du pays. Car, en dépit des gesticulations observées dans ce secteur durant les années 70, malgré les cris d’orfraie le clamant « priorité des priorités », on constatait, parallèlement, la diminution de la part réservée à l’agriculture dans le budget de l’Etat au fur et à mesure que le pays s’enrichissait.
Tout porte à croire que les marionnettistes hexagonaux n’ont pas encore donné leur quitus pour le décollage du développement de l’agriculture au Gabon. L’auto-émancipation arrachée par les pays du Sahel le prouve à suffisance, car à peine débarrassés de la domination française, l’agriculture y fait un saut appréciable et leur souveraineté alimentaire se profile à l’horizon.
En tournant le dos à l’agriculture, alors que toutes les conditions s’y prêtent, nous pouvons nous exclamer, en empruntant le syllogisme de René Dumont, que « le Gabon est mal parti » avec une agriculture vivrière déficitaire et se trouvant dans l’incapacité de nourrir la faible totalité de ses habitants.

La pollution visuelle et écologique

L’agriculture n’est pas le seul refuge des éléphants blancs. Le bord-de-mer de Libreville est dénaturé. Ali Bongo Ondimba, dans ses « élucubrations d’Antoine », avait promis de faire de cet endroit, dit « baie des rois », le Dubaï de l’Estuaire. A ce jour, les immeubles dubaïotes du bord-de-mer ressemblent plus à des dunes de sable qu’à tout autre chose, ce qui provoque une pollution visuelle et un désordre écologique inouï. Ce désordre écologique est également perceptible dans la forêt de Booué où il fut prévue la construction d’une école supérieure du bois. Des hectares de forêt ont été défrichés, mais ladite structure constitue, à ce jour, l’un des éléphants blancs le plus énorme dans le sous-bois de cette partie de la province de l’Ogooué Ivindo.
Le stade omnisports de Libreville, de très grande envergure, contribue à l’avilissement du quartier Derrière-l’hôpital. A Oyem, l’emplacement du stade dans la forêt d’Assock-Ngomo, un investissement colossal, sert d’espace de vie aux porcs-épics, hérissons et autres reptiles de tout genre.
Le stade de l’amitié sino-gabonaise, au nord de Libreville, trouve une utilisation auxiliaire grâce à la tenue en son sein des assises du dialogue national inclusif après avoir servi pour y loger un établissement scolaire. Sevré d’activités sportives officielles, ce mastodonte sera privé, le temps du dialogue, des fumées du « kobolo » auxquelles il s’est accoutumé.
De notoriété publique, il est connu que de nombreuses routes, tant à Libreville qu’à l’intérieur pays, constituent des éléphants blancs malgré qu’elles aient été totalement financées.
Que dire d’Africa n° 1, ce gros éléphant blanc qui barrissait au cœur de Libreville et faisait la fierté de l’Afrique tout entière ?

 

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