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Interview d’Alfred Nguia Banda : Mansuétude et indulgence pour le CTRI

Exilé politique en France, Alfred Nguia Banda, dans cette interview qu’il a bien voulu nous accorder, jette un regard lucide sur la prise du pouvoir par le CTRI, dit sa réserve sur le prochain dialogue nationale et donne les raisons de la prolongation de son exil en France. Lecture !

Le Mbandja : Le 30 août 2023, l’ensemble des forces de défense et de sécurité a fait un coup d’État qui a abouti à une transition politique dirigée par le général Brice Clotaire Oligui Nguema. Cent (100) jours après ce coup d’État, quelle analyse en faites-vous ?

Alfred Nguia Banda : C’est une question très importante qui mérite une double réponse de ma part. En effet, le 30 août 2023 est un jour historique qui restera toujours gravé dans la mémoire collective des Gabonais et dans celle des amis du Gabon. Notre pays a tourné la page la plus lugubre et la plus abjecte de son Histoire. Ce jour fut un véritable coup de libération et non un coup d’État pour paraphraser le général Brice Clotaire Oligui Nguema. J’ai salué, j’ai applaudi des deux mains et j’ai adressé mes sincères félicitations au général Brice Clotaire Oligui Nguema et à ses compagnons d’armes du CTRI pour cet acte héroïque et salvateur.
Ils ont libéré le Gabon du despotisme, du totalitarisme moyenâgeux, de la piraterie financière la plus infâme, de la mafia la plus redoutable. C’est un acte de bravoure qui, en cas d’échec, aurait entraîné l’exécution de ces brillants militaires. Le sémillant colonel Ulrich Manfoumbi Manfoumbi l’a bien souligné lors d’une interview à la télévision gabonaise : « ce jour, il fallait absolument réussir ou il fallait accepter de mourir ».
Concernant les cent (100) jours marquant la fin de l’état de grâce, il faut relever que même s’il est de notoriété publique que le général Brice Clotaire Oligui Nguema et ses compagnons d’armes du CTRI sont des militaires très compétents et chevronnés, il n’en demeure pas moins qu’ils ne maîtrisent pas encore les subtilités, les manœuvres, la culture, le jargon politiques et la gestion rationnelle et efficiente des ressources humaines politiques. Raison pour laquelle nous devons leur accorder beaucoup de mansuétude et d’indulgence, leur accorder le bénéfice du doute. C’est une période d’apprentissage où tous les acteurs politiques, même les plus expérimentés, commettent des erreurs. Il faut, cependant, souligner qu’une chose est de commettre des erreurs, même par omission, une autre est d’en tirer de leçons pour mieux avancer.
En cent (100) jours, l’honnêteté intellectuelle me commande de reconnaître que des actes concrets ont été accomplis. A titre d’exemples, l’octroi de milliers de postes budgétaires aux personnels de l’éducation nationale, de la santé et aux communicateurs, la réactualisation du fichier de la fonction publique, le rétablissement des bourses des élèves des lycées et collèges, la réfection des écoles et la réouverture des internats, la libération de la parole, la décision relative au retour des réfugiés, des opposants et de toutes les composantes des diasporas, la libération des prisonniers d’opinion… Ce sont des actes très parlants qui méritent d’être relevés et salués.

Malgré cette décision du général Brice Clotaire Oligui Nguema qui demande à la diaspora de rentrer au bercail, nous constatons encore beaucoup de réticences. D’ailleurs, vous-même, M. Alfred Nguia Banda, pourquoi vous ne rentrez pas comme l’ont fait vos amis Mays Mouissi, Séraphin Moundounga, Laurence Ndong, etc. ?

D’abord, je salue cette décision du général Brice Clotaire Oligui Nguema qui manifeste cette volonté inébranlable de s’associer toutes les intelligences à la reconstruction du pays. Cet appel a été entendu 5/5 et apprécié. Mais c’est une situation complexe, car la situation des réfugiés politiques n’est pas juridiquement et politiquement la même que celle des autres opposants et des autres membres de la diaspora. Le statut des réfugiés, qui bénéficient de la protection de l’Etat français et des avantages substantiels qui leur sont accordés, exige le respect de certaines procédures pour quitter le territoire français. A titre d’exemple, les réfugiés n’ont plus de passeports ni d’actes de naissance gabonais. La convention de Genève du 26 juillet 1956 impose aux États qui accordent l’asile aux réfugiés de leur octroyer les documents de leur pays. Il faut donc engager la procédure de retour auprès de l’office français de protection des réfugiés et des apatrides qui doit marquer son accord et procéder à la restitution des documents du pays du réfugié et récupérer les documents français. Pour ce qui me concerne, je dis à haute intelligible et intelligente voix que je vais rentrer au Gabon pour participer à la reconstruction du pays tel que voulue par les nouvelles autorités gabonaises.

Vous écrivez beaucoup d’articles et analyses sur des sujets politiques. Que pensez-vous réellement des articulations de cette transition et du dialogue annoncé au mois d’avril par le Premier ministre Raymond Ndong Sima ?

Ma formation scolaire et universitaire m’a prédestiné à une vocation épistolaire. Mes écrits portent généralement plus sur la pédagogie, sur l’objectivité et sur la rigueur intellectuelle que sur la satire politique. Pour répondre plus précisément à votre question, je constate que, sur le plan de la sociologie politique, le général Brice Clotaire Oligui Nguema et le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) ont opté pour une transition politique inclusive appelée aussi transition-pacte, attrape-tout ou multilatérale, c’est-à-dire une transition ouverte non seulement à tout le landerneau politique (partis politiques, personnalités politiques indépendantes), mais aussi à la société civile et aux associations. D’où la participation d’anciens hiérarques, apparatchiks du Parti démocratique gabonais (PDG) au gouvernement et dans toutes les instances décisionnelles (Parlement, Cour constitutionnelle, Conseil économique, social et environnemental et dans la haute administration). L’objectif de ce mode de transition politique inclusive est de susciter l’adhésion au nouveau pouvoir du plus grand nombre, de le plébisciter, de l’adouber et de le légitimer.
Sur le plan de l’analyse politique et de la sociologie politique, je peux penser que cet objectif est atteint. Même si le général Brice Clotaire Oligui Nguema et ses compagnons d’armes du CTRI ne tirent pas leur légitimité d’une élection, ils bénéficient de ce que j’appelle l’investiture populaire de fait ; c’est-à-dire qu’ils disposent d’une légitimité politique de fait qui leur confère une légalité juridique incontestable ; le coup d’État réalisé ayant suscité une liesse populaire et accepté par l’élite politique gabonaise.
Il faut, cependant, souligner que les transitions politiques inclusives présentent des conséquences fâcheuses. En effet, ces transitions peuvent obérer ou délester le capital de confiance accordé aux nouveaux gouvernants par les populations du simple fait de la présence d’anciens responsables dans les sphères étatiques décisionnelles. L’adage « les mêmes causes produisent les mêmes effets » devient illustratif. C’est cette difficulté d’appréciation que posent les transitions politiques inclusives. La durée de la transition, fixée à deux ans, même à titre indicatif, est convenable. De façon empirique, une transition politique se situe entre un (1) et deux (2) ans.
Concernant la deuxième partie de votre question, je suis partisan des concertations, des rencontres, des dialogues politiques qui peuvent aboutir à des compromis d’opportunité, mais pas fondés sur la roublardise et la duperie. Cependant, je me montre très réticent sur le dialogue initié par le Premier ministre Raymond Ndong Sima qui risque d’être un charivari politique inutile. La montagne pourrait accoucher d’une souris. En effet, les différentes doléances et récriminations qui minent le Gabon et clouent au pilori les acteurs politiques gabonais de tous bords sont connus de tous (transports, éducation nationale, santé, logement, insécurité, crimes rituels, changement des mentalités). Faut-il organiser un dialogue pour affronter ces maux ? Ces rencontres obèrent considérablement les finances publiques et sont un gaspillage de temps. Si on ne peut pas rattraper le temps perdu, arrêtons de perdre du temps.
Sur le plan de la réforme des institutions, la mise en place d’une assemblée constituante composée d’une trentaine de spécialistes en droit, en sociologie politique et de quelques politiques permettait de gagner du temps. Cette Constituante aurait pour mission exclusive d’élaborer et de rédiger une Constitution. Le général Brice Clotaire Oligui Nguema présente cette nouvelle Constitution aux Gabonais, la soumet au référendum et la promulgue. L’Assemblée nationale de la transition joue le rôle habituellement dévolu à une Assemblée nationale, mais avec une réduction drastique du nombre de députés. Nous gagnerons en temps et le pays réaliserait des économies substantielles.

Que pensez-vous des sanctions qui sont infligées au Gabon après le coup d’État ?

Par principe les pays occidentaux, les organisations internationales et africaines condamnent les coups d’État militaires, mais ignorent royalement les coups d’État constitutionnels, la dictature et les souffrances des populations. Le coup d’État militaire du général Brice Clotaire Oligui Nguema et ses compagnons d’armes est une vraie libération, eu égard à la liesse populaire dans tout le pays et dans toutes les diasporas gabonaises. Le général Brice Clotaire Oligui Nguema mène une campagne d’explication auprès de ses collègues et, tout récemment, auprès du secrétaire général de l’organisation des Nations-Unies. J’approuve non seulement le coup de liberté, mais aussi les démarches entreprises par le général Brice Clotaire Oligui Nguema auprès de ses homologues. Je constate, d’ailleurs, avec satisfaction que le Gabon reprend progressivement sa place dans le concert des nations après ces périples.

Vous dressez un tableau reluisant des actes des militaires, et pourtant la population s’inquiète de certaines dérives.

Je fais une analyse politique objective et non le panégyrique du général Brice Clotaire Oligui Nguema et des militaires. Je ne croyais pas, au départ, en la capacité de ces militaires à tenir efficacement la barque politique. Mais il faut honnêtement reconnaître qu’ils sont bons aussi bien dans la rhétorique politique que dans l’action. L’intellectuel, c’est celui qui reconnaît la valeur de l’autre et reconnaît également ses propres limites. Je suis très attentivement l’action des militaires que le président de la transition a responsabilisés. Les colonels Ulrich Manfoumbi Manfoumbi et Mouissy m’ont vraiment séduit lors de leur passage à la télévision quand ils ont présenté le bilan des 100 jours. Quelle éloquence, quelle maîtrise des dossiers ! Il faut le reconnaître.
Vous savez, en toute chose le début est toujours difficile. Si les militaires commettent des bavures, ils doivent répondre de leurs actes devant la justice. Nul n’est au-dessus des lois. En droit, la responsabilité pénale est individuelle. Pour les forces de l’ordre et de sécurité qui commettent des infractions, il y a circonstances aggravantes, eu égard à la qualité des auteurs. Et les infractions commises n’engagent nullement un gouvernement.

Votre mot de la fin

Je vous remercie de m’avoir sollicité pour cette interview. En reprenant à mon compte ce que déclarait le philosophe Sénèque, je dirai au général Brice Clotaire Oligui Nguema, aux responsables du CTRI et au Premier ministre Raymond Ndong Sima : « il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il veut aller ». Je vous exhorte à rassembler tous les Gabonais pour créer une nouvelle dynamique de développement du pays. Le Gabon est un et indivisible.

Bon vent et que bénisse le Gabon !

Interview réalisée par GPA

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