Président du Rassemblement Héritage et Modernité, Hugues Alexandre Barro Chambrier était notre invité la semaine dernière. Avec lui, nous avons abordé, sans langue de bois, les mesures d’austérité mises en place par le gouvernement, la vie de son parti qui se prépare pour les prochaines législatives, sa place au sein de la Coalition pour la nouvelle République tout en jetant un regard critique sur le pouvoir actuel qu’il juge « agonisant… » Lecture !
Mingoexpress : Monsieur le président Barro Chambrier, bonjour et merci d’avoir bien voulu nous accorder cet entretien. L’actualité repose sur les mesures drastiques, pour ne pas dire d’austérité, que vient de prendre le gouvernement. Comment appréciez-vous ces mesures ?
Hugues Alexandre Barro Chambrier : Merci de me donner l’occasion de m’exprimer chez vous. Ces mesures, telles qu’elles surviennent, ne nous surprennent pas du tout. C’était largement prévisible, c’est la résultante de la mauvaise gestion de ce pouvoir usurpateur ajoutée au contre-choc pétrolier qui est intervenu au deuxième semestre de l’année 2014. J’avais d’ailleurs, à l’Assemblée nationale, refusé de voter le budget qui nous était proposé pour 2015. Il y a déjà plusieurs années que nous dénoncions la mal gouvernance de ce régime, les mauvais choix budgétaires, les coûts induits par les agences, les transferts illicites et autres détournements de fonds, les dérapages budgétaires au niveau du train de vie dispendieux de l’Etat, le dédoublement de la masse salariale en à peine 6 années, la non exécution du budget alloué à certains secteurs et qui, à ce jour, font que la plupart des projets sont inachevés aux niveaux énergétique, routier, aéroportuaire et portuaire… L’argent du contribuable a plutôt servi à financer des mirages. Jugez-en vous-mêmes ! Deux Coupe d’Afrique des Nations, quatre New York Forum Africa, l’invisible baie-des-rois…Toutes choses qui ont contribué à l’accroissement des déficits budgétaires et de la dette publique qui est passée de 16 % du PIB en 2009 à plus de 60 % actuellement. Il fallait vraiment le faire, une telle aggravation sans précédent de l’encours de la dette…On finit toujours par récolter ce que l’on a semé : atonie de l’activité des entreprises, fuite des investisseurs potentiels, chômage galopant, paupérisation des couches vulnérables, coût de la vie insoutenable.
C’est donc la conjonction de toutes ces mauvaises décisions prises depuis 2012 qui a fait qu’aujourd’hui le Gabon soit quasiment en cessation de paiement et accumule des arriérés importants. Pour preuve, le Gabon vient d’être déclassé par l’agence de notation Moody’s, dans la catégorie des pays à hauts risques. Ce qui aura des conséquences sur le niveau des intérêts servis au Gabon pour emprunter et sur les perspectives d’investissements.
C’est aussi les conséquences des dérapages budgétaires substantiels que le Fonds monétaire international vient de relever à mi-parcours de l’évaluation du Programme d’actions prioritaires. C’est toute cette gestion laxiste des finances publiques, ces mauvais choix budgétaires qui font qu’aujourd’hui, nous sommes acculés par les institutions financières internationales qui exigent des mesures urgentes d’ajustement budgétaire pour obtenir de nouveaux décaissements de l’argent qui fait cruellement défaut et que l’activité économique soit très faible. L’Etat fait face à des manque-à-gagner au niveau budgétaire.
Diriez-vous, comme d’autres compatriotes, que le pays est en faillite ?
Le terme faillite s’applique davantage aux entreprises qu’aux Etats. En effet, l’Etat a toujours la possibilité de recourir à des appuis comme c’est le cas pour lui permettre de sortir de cette phase de forts déficits, de déséquilibres financiers et économiques qui pèsent sur les perspectives de croissance de l’économie.
Le pays aujourd’hui est dans l’incapacité de faire face à ses obligations en matière sociale, d’investissement et d’apurement des arriérés de la dette. Le Gabon est en cessation de paiement. Ce qui se traduit par l’accumulation d’arriérés intérieurs et extérieurs. C’est sous la pression du FMI que le régime est contraint de prendre les mesures actuelles pour sauver l’édifice et voir la suite. Mais fallait-il attendre le FMI ? Comme je le disais tantôt, la masse salariale a été multipliée par deux en six ans, avec des recrutements massifs au sein des forces de sécurité et de défense. Au détriment des secteurs sociaux supposés prioritaires. Le Gabon se trouve dos au mur, non pas à cause du FMI, mais à cause de ses mauvais choix et ce sont malheureusement les plus fragiles qui vont payer l’addition. Comment peut-on justifier que l’on poursuive aveuglement et péniblement les travaux de la Baie des rois, alors que des secteurs d’importance sont oubliés ? Comment peut-on, un mois avant, décider d’un gouvernement pléthorique de 40 personnes pour se dédire un mois après ? Avons-nous besoin des injonctions du FMI pour prendre les devants et assainir la gestion budgétaire pour un pays d’à peine 1,8 million habitants ? Vous avez là la preuve, s’il en était encore besoin, de l’incurie et de l’imposture de ceux qui nous gouvernent.
Comment peut-on prendre des mesures qui frappent d’abord les travailleurs alors qu’il y a encore du gros pour ceux qui se la coulent douce ?
Venons-en à la vie de votre parti. Comment se porte le Rassemblement Héritage et Modernité ?
Le Rassemblement Héritage et Modernité se porte bien. J’allais dire très bien. Il faut cependant reconnaître que c’est un parti qui a à peine deux années d’existence et nous pouvons considérer qu’en deux années nous avons fait beaucoup d’avancées qui se traduisent par des adhésions nombreuses. Probablement plus de 12 000 avec des bases disséminées maintenant dans une très large partie du territoire. Je vous rappelle que nous avons parcouru la quasi totalité du territoire national avec près de huit (8) provinces visitées sur neuf. Lors de ces tournées, il a été question d’échanger avec nos compatriotes, d’implanter des structures d’encadrement du parti et de sensibiliser nos militants sur la nécessité de prendre part aux élections législatives.
Notre parti a accompagné le président Jean Ping à l’élection présidentielle. Il a apporté sa contribution à cette victoire incontestable et incontestée qui a donné au président Jean Ping la légitimité populaire que nous savons. Nous poursuivons cette bataille. Rien n’est perdu, bien au contraire.
Nous avons appris, selon certaines sources, que votre père, ensuite vous, avez été reçus nuitamment au palais du bord de mer par Monsieur Ali Bongo. Vous confirmez ?
Je serai curieux de connaître votre source qui n’est qu’un fieffé menteur. Je ne vois pas pourquoi vous voulez systématiquement m’associer à mon géniteur qui a pris sa retraite depuis plusieurs années. Je vois bien là l’objectif qui est de tenter de donner l’image de personnes avides de gain ou de postes… Les gens qui me connaissent savent que tout cela est une pure perte de temps. Je suis quelqu’un de déterminé et pas une girouette.
Certainement parce que vous allez aux élections, de nombreux compatriotes se posent aujourd’hui la question de savoir si votre parti est toujours membre de la grande Coalition pour la nouvelle République formée autour du président Jean Ping.
Bien entendu, nous restons membres à part entière de la Coalition pour la nouvelle République avec ses différentes sensibilités. A ce que je sache, le président Jean Ping n’a pas catégorisé la coalition entre ceux qui vont aux élections et ceux qui refusent d’y aller pour distribuer des bons ou des mauvais points…
Le RH&M est un parti en pleine évolution sur l’échiquier politique national. Peut-on considérer que la volonté de notre parti d’aller aux élections est antinomique avec notre appartenance à la CNR ? Je ne le pense pas. Le pouvoir législatif est un pouvoir important de la République qui devrait légitimement échoir à ceux qui ont gagné l’élection présidentielle de 2016. Et au regard de cette présidentielle, nous pensons qu’il est de notre droit d’investir le pouvoir législatif en vue de constituer une majorité parlementaire avec d’autres partis membres de la CNR qui participeront comme nous à ces élections. C’est notre devoir et nous le devons aux Gabonais. Il n’est pas question de laisser Ali Bongo et le PDG continuer à détruire notre pays comme ils le font depuis 2009.
Nous avons eu ce débat démocratique qui nous a permis de décider souverainement, avec nos partenaires, de notre participation aux élections législatives.
La grave crise que connaît le Gabon, accentuée par les tueries de la présidentielle de 2016, tarde à se dissiper. Selon vous, les législatives de cette année peuvent-elles constituer une porte de sortie de crise ?
Les législatives sont incontournables de fait, car elles auront lieu d’une manière ou d’une autre. Elles ne constituent certes pas une panacée, encore que tout dépend des conditions dans lesquelles celle-ci vont se dérouler. Mais ce qui est certain, c’est que si elles se passent mal, elles peuvent avoir des conséquences incalculables pour notre pays qui a besoin d’élections transparentes et d’apaisement.
La légitimité populaire qui s’est exprimée il y a maintenant deux ans en faveur du président Jean Ping doit se traduire au niveau du pouvoir législatif. C’est une question de cohérence, de logique et d’éthique. Nos adversaires seraient bien inspirés de ne pas tenter, une fois de plus, une fois de trop, de contrarier les Gabonais dont on ne saurait mesurer les réactions face à un ras-le-bol et un écœurement dus à l’incapacité du pouvoir en place à organiser correctement les élections et à respecter le verdict populaire.
Vous et quelques autres partis membres de la CNR avez décidé d’aller aux législatives. Onze partis de la CNR refusent d’y aller et confondent ceux qui y vont. N’y a-t-il pas des dissensions graves au sein de la CNR ?
Je vous ai rappelé plus haut que le président Jean Ping n’a pas catégorisé la coalition entre ceux qui vont aux élections et ceux qui refusent d’y aller. Je vous ai également rappelé que la coalition est diverse et que chaque parti a sa sensibilité. Certains partis pensent que le combat doit continuer sur le front législatif, d’autres pas. C’est là même toute l’expression de l’expérimentation de la démocratie dans la coalition.
Malgré son impopularité et son rejet par une large majorité de la population gabonaise, Ali Bongo a adopté la violence et la peur pour s’éterniser au pouvoir. Pensez-vous que le bulletin de vote ait encore de la valeur au Gabon ?
La violence et la peur ne conduisent nulle part. Il est à déplorer qu’Ali Bongo y ait eu largement recours pour en user et abuser comme nous l’avons malheureusement vu lors de l’élection présidentielle dans la nuit du 31 août 2016 et les jours qui ont suivi. Cela ne contribue pas à faire avancer la démocratie. De même que nous déplorons les prisonniers politiques, les enlèvements des jeunes… Cela crée plutôt des frustrations, des rancœurs, des divisions dans la société.
De toutes les façons, le peuple gabonais sait très bien que ce pouvoir usurpateur est agonisant et ne peut plus rien apporter au Gabon. S’agissant du bulletin de vote, le Rassemblement Héritage & Modernité reste convaincu qu’il constitue une arme véritable. C’est à nous de nous organiser pour que cela fasse mouche et que plus jamais on ne nous vole notre souveraineté.
Pouvoir agonisant, mais il n’en demeure pas moins que l’opposition gabonaise est un drôle de marché politique où les opposants se vendent et s’achètent.
Oui, il faut dire qu’au sortir de l’élection présidentielle, lorsque les choses ne changent pas comme dans le sens souhaité, certains à conviction politique morte rejoignent le pouvoir sous des motifs divers et variés, appâtés par ce dernier. Souvent, ils y vont avec beaucoup de naïveté.
Mais disons aussi que c’est une manière réductrice de voir les choses comme vous les présentez. Ces opposants auxquels nous avons fait allusion plus haut ne sont cependant pas représentatifs de la grande écurie de la classe politique de l’opposition gabonaise qui se bat courageusement avec conviction.
je ne suis pas là pour distribuer les bons et les mauvais points. En ce qui concerne la détermination du Rassemblement Héritage & Modernité, notre parti est résolument ancré dans l’opposition. Il n’entend pas dévier de sa volonté de répondre aux attentes des populations et de mener ce combat jusqu’au bout. Bien au contraire, nous sommes montés progressivement en puissance, les adhésions sont de plus en plus nombreuses et les gens voient bien que dans le cadre de notre rassemblement, à la tête duquel se trouve votre modeste serviteur, il y a une grande, très grande conviction à poursuivre ce combat. Je peux vous dire qu’il y aura probablement d’autres défections, mais cela n’entamera en rien notre volonté à venir à bout de ce régime-là. On ne peut pas aujourd’hui décevoir les attentes des Gabonais. D’ailleurs, ce qui nous donne la force, c’est ce peuple qui, malgré les souffrances, les frustrations et les trahisons, est toujours derrière nous pour un Gabon nouveau débarrassé de tous les miasmes de l’ancien système.
Votre mot de la fin.
C’est de vous remercier de nous avoir permis de nous exprimer dans votre journal et de défendre les voies de la sagesse politique, de la bonne direction et d’une vision constructive qui voudrait que notre pays se réconcilie avec les responsables politiques que nous sommes. Bien sûr nous avons des défauts, nous reconnaissons avoir commis des erreurs, nous les assumons, mais nous voulons dire ici et maintenant que notre démarche est empreinte de sincérité et de volonté farouche pour servir l’intérêt général et non les intérêts particuliers et qu’aujourd’hui, plus que jamais, nous prenons l’engagement de tout mettre en œuvre pour renvoyer ce pouvoir dans l’opposition, place qu’il aurait dû déjà occuper depuis deux ans.
Mais pour cela, nous appelons le peuple à la mobilisation, à la vigilance et au discernement dans leurs choix.
La sortie du tunnel se rapproche de nous.
Monsieur Barro, merci.
C’est moi qui vous remercie.